C'est, à mon sens, typiquement le genre de films qui acquièrent une certaine notoriété et la sympathie d'une grande partie des spectateurs parce qu'il correspond à l'horizon d'attente et aux goûts de notre époque.
Ce film est en fait une succession d'histoires qui n'ont de commun que l'univers, les lieux ainsi que certains personnages plus ou moins secondaires. L'intelligence de ce film est de petit à petit tisser une toile de fond au lieu de nous dire d'emblée que le monde est pourri, que tous les flics, les politiciens, les hommes d'église sont corrompus, que Marv porte sa grande carcasse de pauvre hère parce qu'il recherche désespérément un bonheur inatteignable. Ce sont des choses que l'on comprend en temps voulu, pas à pas, on voit toutes les facettes de la corruption des figures de l'autorité et de la gent féminine, qui n'est à peu près composée que de catins et de femmes fatales. Tout cela, on s'y attend en voyant le titre du film et la séquence d'ouverture.
Les personnages sont aussi liés par leur nature et leur statut social, ce sont des outsiders, des laissés-pour-compte, ce sont des "forces qui vont", si vous me passez l'expression. Hartigan est le seul flic de la ville qui soit resté intègre, Marv est un colosse désoeuvré et mélancolique, Dwight une sorte de tueur à gages (pas sûr de cela) hanté par ses scrupules. Leurs caractères sont aussi appuyés par une fétichisation objective : qu'est-ce qui vous pose un homme ou une femme ? la clope, l'alcool, les armes, les pilules, qui servent à appuyer le côté "BADASS" des héros, ce qui fait redondance avec leur caractère.
On a aussi droit aux personnages qui incarnent en eux-mêmes les perversions : la jeune prostituée est une traîtresse (on remarquera que c'est la femme qui trahit pour le fric), le fils du sénateur déviant sexuel, monsieur Frodon qui mange des jeunes femmes avec un sourire en coin et un air de merlan frit. Là encore, il s'agit de montrer la furieuse violence qu'autorise la société rongée par la corruption.
Or, il me semble qu'en plus d'insister sur le côté "badass", à la fois mélancolique et quasi épique des personnages, le film se veut une parodie des films noirs d'antan. Mais cette visée parodique est, à mon sens, justement invalidée par le charisme des héros.
Je regrette personnellement que l'histoire de Dwight, non seulement redondante avec celle de Marv, mais aussi basée sur une fausse histoire d'amour, vienne s'interposer entre la descente aux enfers de ce dernier qui cherche à venger l'être aimé et la quête marquée à la fois par la passion et la vertu d'Hartigan.