Dans cette période de reboots, spin offs, remakes et prequels on en vient presque à oublier les Sagas qui comptent vraiment. Ces sagas qui accompagnent la Pop Culture depuis des années et dont les codes sont entrés dans notre vie de tous les jours. James Bond en est une des plus représentatives, et il fête ses 50 ans au cinéma avec un 23eme opus.
La difficulté d'une saga qui s'étend sur la durée est de la rendre perpétuellement pertinente. Comment rendre actuelle une saga fondée sur des codes vieux de 50 ans. C'est la grande difficulté à laquelle sont confrontées les productions Bond. En 50 ans James Bond aura eu plusieurs facettes: l'élégance écossaise et pince sans rire de celui qui restera à jamais le vrai visage de Bond (Connery), la classe anglo-anglaise de Lazenby, la nonchalance crypto gay et peroxydée de Moore, le sombre sérieux de Dalton, le brushing de Brosnan et enfin la musculature toute soviétique de Craig.
Après 7 années d'errance hysterico-creuses sous les traits de Brosnan (mis à part peut-être GoldenEye), Casino Royale et Craig tentaient de rafraichir la franchise avec un film en forme de reboot. Si Casino Royale était plutôt bon il emmenait la saga vers un cul de sac. A l'heure du cyber-terrorisme, des micro conflits géopolitiques et de la toute puissance des technologique où était la place de l'agent 007? Casino Royale optait pour un réalisme calqué sur celui de Jason Bourne et l'abandon des marques de fabrique de la saga: gadgets, humour, ... Si l'épisode marquait enfin une prise de risque, il annihilait aussi tout l'héritage de la saga. Après la débandade Quantum of Solace (Craig avoua qu'il dut écrire lui-même certains de ses dialogues avant de tourner les scènes), Sam Mendes entre en piste avec pour mission de marquer le coup pour les 50 ans de l'agent secret au cinéma.
Mendes réalisateur anglais oscarisé et connu pour ses films indé en forme d'étude de moeurs (American Beauty, Away We Go) pouvait sembler un choix surprenant. Mais ce fut finalement un choix très judicieux. Plutôt que de garder l'approche de Casino Royale en faisant table rase du passé pour se calquer sur la concurrence, Mendes fit le choix d'une approche similaire à celle de Christopher Nolan avec les Batman: pas question ici d'oublier le passé, mais au contraire le réinventer en se plongeant dans la mythologie du personnage. Comme dans la trilogie Batman, Mendes revient sur chacun des éléments qui font la saga Bond (Q, M, les gadgets, les voitures, Moneypenny) et les réinvente. Cette approche est beaucoup plus jouissive pour le spectateur qui s'amusera à essayer de débusquer tous les éléments historiques de la saga.
Ainsi sur un postulat relativement simple (un ancien agent trahi veut se venger du MI6) Mendes tisse un récit qui de la Tunisie à l'Ecosse en passant par la Chine va permettre à Bond de revisiter son mythe. Mendes y ajoute une réflexion très intéressante sur la maternité, avec le personnage de M qui est enfin approfondi. Très psychologique notamment dans son acte final, le film questionne Bond sur ses rapports avec une mère de substitution qu'est M et le contrebalance par l'abandon de celui qui fut le fils prodigue de cette même mère. Ce fils prodigue c'est Javier Bardem qui se fait apparemment très plaisir en incarnant un "Bad Guy" dans la plus pure tradition de la franchise: il cabotine génialement en ancien agent, un peu homo sur les bords et ayant de lourds problèmes de complexe d'Oedipe non résolus.
Le film commence par une séquence pré-générique haletante qui voit "mourir" son personnage principal. Bond devra alors renaître pour redevenir l'agent qu'il était. Cette "résurrection" (le leitmotiv du film) renvoie à la résurrection de la Saga que tente de réaliser Mendes. Suivent ensuite un magistral combat en ombres chinoises, une scène de casino, une île secrète abandonnée et un attentat en plein coeur de Londres. La mise en scène de Mendes est sublime, créative, et sophistiquée. La photographie n'est pas en reste, avec une utilisation de la lumière et des décors prodigieuse.
Puis après une course poursuite dans Londres en forme de feux d'artifice, le film prend un risque: alors que l'action bat son plein, Mendes se débarrasse de tout le superflu, resserre le récit sur Bond et M et les isole dans la lande Ecossaise dans la maison d'enfance de 007. Dans ce magistral acte final, Mendes se fait plaisir et livre un hommage aux Chiens de Paille de Peckinpah. Ce huis clos est aussi l'occasion de voir la symbolique de la résurrection et de la maternité prendre tout son sens. On ressort de la séquence finale de la chapelle secoué (au shaker pas à la cuillère, sans olive).
Ainsi, Skyfall est une vraie réussite qui contrairement à Casino Royale ouvre des possibilités très enthousiasmantes. Au cours du film on a l'impression de voir tous les éléments de la légende se mettre lentement mais surement en place. Bond ne renie plus son passé mais l'embrasse au contraire pour le faire revivre, on peut donc se laisser aller à rêver pour les prochains épisodes. Et pourquoi pas le retour du Spectre?
"Je vous attendais Monsieur Bond". J'ai bien fait d'attendre 50 ans.
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