Un mobilier comme toi c'est rare
"Soleil vert" se veut un film de science-fiction adulte et contestataire, genre qui domina ce domaine du cinéma fantastique. Certains de ses thèmes se retrouvent dans d'autres titres de cette vague, comme la disparition des livres, l'écologie et, surtout, la gestion de la surpopulation.
L'enquête menée par Thorn dans "Soleil vert" sert avant tout à nous décrire une société futuriste cauchemardesque. New York n'est plus qu'un amas de ruines sinistres, mal éclairé, peuplé par une masse de femmes et d'hommes faméliques, réduits au chômage et à la misère, et s'entassant littéralement dans les cages d'escalier à l'heure du couvre-feu. Seule la classe dominante s'en sort bien, dont les membres forment une nomenklatura très fermée et habitent dans de luxueux appartements. Les privilégiés, détenteurs d'un emploi, sont alors prêts à toutes les compromissions pour ne pas rejoindre la masse des misérables qui meurent de faim, sur les trottoirs, dans l'indifférence.
"Soleil vert" décrit aussi les conséquences d'une situation écologique catastrophique. La végétation et les animaux ont pratiquement disparu, l'homme ayant, apparemment à cause de son appétit vorace, éliminé pratiquement toutes les ressources que la nature avait mises à sa disposition. New York est constamment noyé dans un nuage de pollution verdâtre. Les aliments frais, comme les légumes, la viande et les fruits, sont devenus des mets de luxe, se négociant à des prix faramineux sur le marché noir. Un simple pot de confiture de fraise est devenu un vrai trésor. Le commun des mortels doit se contenter d'insipides plaquettes alimentaires, dénuées de goût, distribuées gratuitement par le gouvernement tous les mardi: les "soleils verts".
"Soleil vert" s'attaque à d'autres problèmes, tels la place des femmes dans la société, la condition des personnes âgées, ainsi que le risque d'arriver à une société sans mémoire. Face à toutes ces situations, tous les personnages se montrent désespérés, résignés, que ce soit Simonson face à son assassin, Sol lorsqu'il comprend la vérité sur "Soleil Vert", ou Shirl quant à son statut peu enviable de "femme-objet". Seul Thorn semble, en fait, habité par un minimum d'esprit de révolte.
"Soleil vert" souffre parfois de certains défauts, assez communs dans les films de science-fiction de son époque. Les bavardages prennent parfois trop le pas sur l'action, les intentions moralisatrices peuvent se faire sentencieuses, la situation met un peu de temps à se mettre en place et le sérieux imperturbable du ton se heurte au kitsch outrancier de certaines représentations futuristes. Néanmoins, la très haute qualité de l'interprétation, la rigueur de la réalisation et l'approche réaliste du futur, évoquant parfois le Film Noir, permettent au spectateur de passer outre ces quelques reproches.
Fleischer ménage, de plus, quelques tours de force assez extraordinaires. L'émeute est certainement le clou du film, tant elle illustre de façon marquante, en quelques images d'une brutalité et d'une tension impressionnantes, la situation désespérée et bloquée de cette société du futur. De même, ce réalisateur se surpasse dans tout le dénouement, à partir de l'arrivée au "Foyer".
"Soleil vert" reste un bon film, qui traverse plutôt bien les décennies, notamment grâce aux qualités de son interprétation et de sa réalisation. C'est aussi un de ces films de science-fiction qui a le triste privilège de s'être révélé, par bien des points de vue, sinistrement prophétique, tant certains problèmes qu'il soulevait relèvent aujourd'hui d'une actualité toujours plus urgente.