Mais qui a encore peur de la mort?
Takeshi Kitano. J'ai dû voir un film de ce réalisateur sur Arte quand j'avais 17 ans. Un film avec des yakuza. Je n'en ai gardé aucun souvenir. Maintenant que je suis un peu moins con et un peu moins moche (merci biactol), je m'y relance. Sachant que c'est Kitano, je m'attendais à un film de gangsters asiatique. Et ben non, Sonatine est plutôt un film conceptuel, un film d 'art et d'essai.
Je vais spoiler durant ma critique. Passez votre chemin si vous êtes encore vierge.
D'ailleurs c'est bien simple, il n'y a pas vraiment de dramaturgie au sens classique du terme. Il y a bien des scènes avec des actions qui sont racontées, mais il n'y a pas un objectif qui englobe réellement le tout. Le but du film se situe dans notre réflexion.
Kitano part d'un postulat assez simple : la banalisation de la mort. Ses personnages ne semblent plus touchés par elle. Ils disent qu'ils ont peur, mais ils ont juste l'air vides d'émotion, vides de tout. Il regarde la vie passer. Les corps tombent autour d'eux dans une indifférence totale. Soudain, le déclic. Nos personnages vont tenter de vivre. Vie rime avec joie, bonheur, farces. Les bouches se desserrent peu à peu et nos protagonistes rient haut et fort. En tant que spectateur on s'amuse. On ne peut pas dire d'ailleurs qu'on s'ennuie en tant que spectateur. Le rythme narratif est peut-être lent, mais il s epasse toujours quelque chose. Et donc nos héros stoppent leurs massacres le temps de reprendre goût à la vie. Evidemment ça ne pourait pas durer. La mort revient, et les vieux réflexes aussi ; alors qu'ils étaient en train de s'amuser comme jamais avec un frisbee, l'un d'eux meurt d'une balle dans la tête. C'est bref, soudain. Et déjà la banalisation revient. Le héros décide alors d'en finir une fois pour toute avec son passé. Mais le point fort du film, c'est cette scène finale, ce suicide. Le héros a souvent joué avec la mort en guise de désenchantement. Mais à la fin, le héros, lorsqu'il presse la détente plutôt que de tourner le dôs à son passé pour embrasser cette belle jeune femme, c'est simplement, à mon sens, une manière de redonner un sens à la mort. De la rendre terrible. Il sait qu'en mourrant à cet instant, il va perdre beaucoup. Alors que s'il était mort au début du film, ça n'aurait rien changé. Et c'est ça qu'il souhaite. Que sa mort signifie quelque chose. Que sa mort ne soit pas une action banale aussi vite oubliée. Et ça c'est très fort. De la banalisation de la mort, Kitano est passé à la célébration d ela mort, et ce par l'intermédiaire de la vie.
Sur la forme, l'on pourra regretter une BO bien 90's. Les musiques ne sont pas moches, mais le synthé est parfois un peu kitsch. La mise en scène est bonne. J'aime beaucoup la gestion du temps. Les asiatiques sont très doués pour jouer avec le temps. Déjà dans les mangas, les auteurs l'étirent ou le condensent avec beaucoup d'ingéniosité. Au cinéma c'est pareil. Le découpage est solide. Quelques petits plans par-ci par là qui font défaut, mais ce sont justement ces imperfections qui rendent le film intéressant. Un peu comme le zoom sur Joe dans Killer Joe, en début de film : pas très adroit, mais cette maladresse confère au film une certaine aura. Faut profiter des erreurs, du hasard. Les acteurs aussi sont bons. Kitano se dirige très bien. Les autres aussi.
Bref, Sonatine est un film dont je n'attendais pas grand chose mais qui m'a sacrément retourné par son concept. Cela donne lieu à une structure narraative pas toujours fluide, mais chaque scène a un sens.