Avec Sonatine, Takeshi Kitano épouse les formes de l’épure pour repeindre le genre policier. De ce fait, Sonatine s’appréhende comme un film vagabond imprégné d’une totale liberté dans sa gestion rythmique, dans ses choix de plans, dans l’aération de son scénario. A travers ce grand huit émotionnel, il est fascinant de voir un artiste dévoiler une telle variation de genre cinématographique, avec comme point d’orgue le polar cinglant et la quête contemplative qui se chevauchent sans en dénaturer les propres codes. Sonatine s’appuie sur ses ruptures de ton remplies d’un humour abscons à la fois nostalgique et presque romantique. C’est donc par ce procédé que Kitano décide de retirer le masque d’un homme violent et foudroyant pour faire ressortir de son être, un brin de légèreté que ne lui permettait pas la responsabilité quotidienne de son rang.


A partir du moment où une bande de Yakuzas se retrouve sur cette plage pour se mettre à couvert d’une rivalité entre clans, Sonatine déploie sa perfection avec humilité, notamment par le biais de sa réalisation, tout en finesse et simplisme, et un montage coupé au cordeau où tous les plans extérieurs somptueux qui arpentent cette plage s’accordent parfaitement avec la mélancolie ambiante. Car désormais, cette petite virée maritime permet à ce Yakuza à l’esprit presque suicidaire, de se libérer, de se détacher de ce Japon citadin, nerveux et sans attache à la violence froide quotidienne. Sous son apparente radicalité, tout est une question de contraste dans Sonatine à l’image de cette séquence de la mort du bras droit de Murakawa où l’on passe du rire aux larmes en une poignée de secondes. Le tour de force de Kitano est de faire mélanger le chaud et le froid, de construire à partir des opposés. Dans Sonatine, le contraire s’attire comme un aimant.


On passe du costard noir à la chemise hawaïenne détente, aux codes d’honneurs hiérarchiques à l’amitié la plus attachante, du calme ambiant à la frénésie d’une frappe chirurgicale, du sourire sournois et calculateur à l’éclat de rire complice, de scènes d’actions aux coups de feux secs et sans états d’âmes à des moments plus contemplatifs d’émotions pures. Tout est d’une cohérence iconoclaste absolue tant d’un point de vue narratif que plastique. Dans ce Japon urbain, aux lieux restreins qui ne sont que des lieux de soumissions et d’ordres (toilette d’un restaurant ou ascenseur) filmés avec des cadres resserrés presque asphyxiants, Kitano élargit les plans pour faire naître ce sentiment d’évasion bucolique dans cette plage à la longueur infinie devenant le lieu de tout un tas de jeux à l’absurdité hilarante (le jeu du combat de sumo ou le duel de feux d’artifices).


Sonatine se met alors à sonner comme une douce mélodie marginale. Kitano ne cesse de faire parler les regards troublants de gravité, notamment celui d’un yakusa lassé et fatigué par tant d’agitations, qui a vu sa jeunesse lui passer sous le nez et qui par la force des choses et pour se mettre à couvert d’un affrontement entre clans yakuzas, se rend sur une plage avec comme possibilité de revivre des réminiscences de son enfance perdue. Mais comme souvent avec Kitano, la tension n’est jamais bien loin, et cette parenthèse maritime joviale et libératrice est rattrapée par la violence du quotidien où le regard de cet homme va finir par voir s’effriter cette bulle d’air protectrice dans un final à la fatalité inéluctable. A l’image d’un Takeshi Kitano étincelant de sincérité, Sonatine est un film d’une sobriété magnifique.

Velvetman
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le 5 mai 2015

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Velvetman

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