Le bon journalisme réveille les nantis installés dans leur confort, et réconforte les affligés.

D'une certaine manière j'aurais aussi pu reprendre l'idée de ma critique des Hommes du Président avec ce côté David contre Goliath. Car comme pour le film d'Alan Pakula, on retrouve assez visiblement cette image du puissant et du petit. Le petit étant sur ce coup représenté par le Boston Globe et le puissant étant l'église. Spotlight est un petit quatuor de journaliste interprété par Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams notamment.


Il faut de suite souligner la double performance de Michael Keaton d'un côté, qui depuis Birdman, a retrouvé toute sa superbe. Il campe ici un chef de la rédaction à la fois passionné, intègre mais aussi réaliste sur sa propre histoire. Et de Mark Ruffalo qui est juste impressionnant sur ce coup dans le rôle d'un journaliste jusque-boutiste totalement obnubilé par son affaire. Derrière Rachel McAdams est beaucoup plus lisse. S'il fallait souligner un autre personnage, ce serait évidemment celui de Marty Baron interprété avec réussite par Liv Shreiber. Il est magnifique tout simplement, à la fois sensible, presque timide mais bourré de conviction et il arrive à nous la transmettre avec force et talent. De manière générale, la direction d'acteur est vraiment réussie et l'ensemble du casting est cohérent et convaincant de bout en bout.


Spotlight renoue avec le grand film journalistique basé sur des faits réels. Jamais sensationnaliste, même anti-sensationnaliste je dirais, Spotlight réussit le tour de force d'être un film sur un évènement marquant des années 2000, sans jamais prendre parti. Spotlight est un film sur des journalistes dénonçant la pédophilie au sein de l'église mais n'est pas un film qui dénonce la pédophilie de l'église. La distinction peut paraitre légère voir même décorative, mais c'est selon moi un point très important qui donne énormément de relief à Spotlight. Et c'est de cette manière qu'il se rapproche et qu'il égale presque les Hommes du Président de Pakula. Cette finesse si difficile à garder sur un sujet aussi compliqué que celui de la pédophilie. La film aurait pu devenir un réquisitoire dénonciateur et irréfléchi. Il n'en est rien, Spotlight est fin et s'attache surtout à mettre en image le travail de ces quatre journalistes face à l'une des organisations les plus puissantes du monde.


On pourra reprocher la réalisation de McCarthy très "classique" mais je trouve justement qu'elle donne encore plus de force à cette histoire qui n'existe que par elle-même, que par ses protagonistes. C'est vrai que McCarthy prend peu de risques et encore je trouve que c'est un procès un peu dur envers lui. Le film journalistique est un exercice difficile ne permettant pas forcément l'originalité. Et faire original aurait certainement nui au récit que Spotlight nous propose de suivre. Faire sophistiquer pour se croire différent n'a rien de talentueux, c'est pédant et souvent cela se conclut par un échec (à raison).


Je ne me suis jamais ennuyé pendant les deux heures que durent Spotlight. Le film est très bavard et très oppressant même. On est quasiment tout le temps en intérieur dans un bureau toujours plus vivant à travers des révélations toujours plus dingues. Ce côté très bavard est loin d'être problématique d'ailleurs car le film est très bien écrit dans sa majorité (quelques balbutiement au départ qui nuisent quelque peu à la compréhension) et les dialogues toujours intéressants. Le film ne parle pas pour ne rien dire, loin de là. Faire avancer un tel film se fait évidemment par la révélation de nouveaux indices et Spotlight le fait très bien. De minute en minute, le film devient de plus en plus prenant à l'image de l'enquête qui devient de plus en plus massive et importante. De 1 prêtre, on passe à 13 puis 90 puis.......certainement des dizaines de milliers dans le monde entier. Mais Spotlight est tellement intimiste et anti-sensationniste qu'il ne fait pas l'effet "Waouh" mais nous laisse sur le cul d'avoir vu un excellent film sur une affaire super intéressante. D'ailleurs il se termine d'un coup, sur une fin presque frustrante mais totalement dans le ton du film : fine, inattendue et rudement bien amenée.


Spotlight est à mon humble avis une petite claque qui rend ses lettres de noblesses aux films journalistiques de qualités qui sont si rares sur nos écrans. Anti-sensationnaliste, intelligent et primant l'histoire et ses personnages, il réussit le tour de force d'exposer sans jamais paraitre à charge du sujet qu'il traite (tout en plaçant une petite critique du journalisme). Un très beau film qui force le respect. A l'heure des spots grandiloquent vendant l'action et des lumières sur des réalisations toujours plus techniques, Spotlight propose un scénario redoutablement bien écrit et passionnant et pour moi, le cinéma c'est ça et surtout ça : des histoires et des hommes.

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le 31 janv. 2016

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Halifax

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