Gaspar Noé rencontre Terrence Malick et ils décident de se faire un Spring Break.

Harmony Korine est typiquement le mec qui aime bien taper là où on ne l'attend pas. Scénariste de "KIDS" a une vingtaine de berges pour Larry Clark, qu'il retrouvera presque 10 ans plus tard pour l'écriture de "Ken Park", Korine trace les premières lignes de son CV d'auteur de manière plutôt remarquée.

Puis le gus passe derrière la caméra et signe des films traitant de différents sujets sociologiques, toujours de façon décalée et en jouant à fond la carte "film indé'" réalisé en amateur. A tel point qu'à la vision des premiers plans, on se demande s'il ne s'agit pas d'une séquence "Vidéo Gag".

Et arrive "Spring Breakers". Un film qui tranche totalement avec l'esthétique d'antan du réalisateur. Images ultra-colorées, cadrage en slow-motion, thématique "mainstream" pur jus et casting "kikou lol" (je ne parle pas de Franco, quoique...). Voilà ce que le teaser nous dévoile, sur fond de musique issue d'une playlist "Fun Radio".
Là on se dit : "Ah bon ? Mais pourquoi...?". Mais quand même, en connaissant un peu l'auteur, on reste sur ses gardes et on se demande si le mec n'est pas en train de nous la mettre profond...

Et bien bingo ! Korine a joué la carte promotionnelle sang pour sang "film populaire" pour nous livrer un trip narcotique totalement délirant et tonitruant. Autant vous dire que les réactions d'après film ont été pour le moins sévères : "C'est quoi cette arnaque ?" ; "Non mais là on ne parle plus de ce film les gars, je veux y mettre un point final !" ; ou encore "Non mais c'est quoi ce film de merde ?" (dit une femme assise derrière moi, à l'allumage des lumières). Je me suis bien marré et je me suis dit dans ma tête : "Korine petit filou, t'es un bon !".

Bon je ne veux pas faire le mec qui se différencie du public dit "lambda", mais je partais au moins avec l'avantage de connaître un peu le parcours de l'auteur en question, avant de rentrer en salle. Mais Harmony m'a quand même surpris, étonné, émerveillé et dérangé.
La plus grosse réussite du film est, selon moi, d'avoir su installer une ambiance oppressante et terriblement malsaine dans un univers qui se veut "magique" et qui relève de la "rêverie". Le film aurait pu basculer dans une critique acerbe de la société de consommation et de la décadence juvénile, à travers l'évènement même du "Spring Break". Mais finalement, cette grande fête sert uniquement de cadre esthétique pour y installer un récit de décadence sans arrêt vers les bas-fonds moraux.

Et pour narrer cette histoire sans histoire, Korine joue la carte du trip sensoriel. Le film est un mouvement sans fin, fait de plans ultra-courts et de séquences de contemplation (le plan-séquence suivant un braquage de fast-food depuis une voiture est parfait !). On est dans un trip visuel fait d'images au ralenti, de plans nocturnes teintés au néon, de mouvements caméra circulaires et voyageurs, ou encore de gros plans s'attardant sur des détails sordides des organisations festives.

Et pour habiter ses multitudes idées visuelles, Korine est allé chercher des acteurs, enfin des actrices, à contre-emploi : Selena Gomez (une beauté à l'état pur), Vanessa Hudgens et Ashley Benson (qui a bizarrement des airs de Scarlett Johansson dans le film...) . Que des minettes connues pour leurs rôles lustrés sur Disney Channel ou pour leur relation avec des starlettes préfabriquées.
Mais dans "Spring Breakers", fini les filles modèles. L'école elles la fuguent. Quand elles dansent ou chantent, c'est avec 6 grammes dans le sang ou armées d'un gros fusil à pompe. Sinon ça fait des plans à trois, ça simule des fellations salaces et ça tape des grosses poutrelles sur un plumard rempli de biftons. Korine casse définitivement l'image "filles modèles des pisseuses de 12 ans" pour en décrire des êtres à l'abandon, totalement inconscients et attirés par l'interdit.
L'interdit, c'est James Franco qui va l'incarner. Un malfrat local blindé aux as, chanteur Hip-Hop et qui veut mener une vie à la Tony Montana : fric, armes, bling-bling et gammos. Il libère les quatre poulettes de leur cellule pour les prendre sous son aile. Et c'est là que tout bascule et que tout s'amplifie. Alien devient un gourou amoureux et qui entraîne les fêtardes dans un univers aussi dangereux que malsain. Franco est métamorphosé et livre une prestation dantesque, en incarnant ce bouffon aussi ridicule que inquiétant.

L'arrivée d'Alien dans le récit laisse place aux séquences les plus folles du film [spoils] : la fellation simulée de Franco sur un Berreta chromé, le dialogue en plan rapproché entre Franco (toujours lui) et Gomez, scène d'une rare perversion.
La séquence la plus réussite reste le braquage en slow-motion d'Alien et ses poules chez des dealers de Floride, sur fond d'"Everytime" de Britney Spears. Du grand art ! Britney Spears qui est un peu un leitmotiv esthétique dans le film, de part sa symbolisation du rêve américain qui a finalement sombré dans l'hystérie. Britney aurait pu, sans aucun doute, jouer un des rôles des Spring Breakers si son âge actuel le permettait [fin spoils].

"Spring Breakers" c'est une cohabitation réfléchie et habile entre la beauté et la laideur. Ou comment gratter sous un vernis épais pour y dénicher quelque chose de plus sensible, de plus humain.
Korine exploite le langage Pop à 100% pour nous livrer son produit esthétique : une sorte de track électro' où des scènes épileptiques reviennent en boucle comme un sample. Le réalisateur fait donc un film hollywoodien qui chie directement sur le film hollywoodien. Il faut des êtres un peu marginaux, comme Korine, pour accoucher d'un film se basant sur un tel paradoxe.
Théo-C
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le 9 mars 2013

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Théo-C

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