Non, le triangle ABC n'est pas forcément égal au triangle A'B'C' !

Attention : L'intrigue n'existe pas vraiment dans ce film. Le fond et sa forme ne forment qu'un tout indivisible. Si vous ne voulez pas vous faire spoiler, ne la lisez pas.

Andrei, tout d'abord, je voudrais te dire que ton film m'a profondément bouleversé. Je veux aussi te remercier pour ton altruisme et pour ce cadeau que tu as fait à l'humanité. A chaque plan, chaque scène, chaque dialogue, j'ai tout de suite su ce qui s'agitait dans ton esprit et le pourquoi de tes choix. Je te le dis franchement, j'ai perçu à travers ton regard ce que je vois constamment par le mien. La même tristesse consume notre cœur à chaque instant et nous voulons que cela cesse. Nous voulons dire au monde qu'il se perd dans des problématiques qui ne sont pas les siennes, qu'ils ont oublié l'essentiel, que les miracles ne sont pas utopiques et qu'ils doivent avant tout continuer d'y croire quoiqu'il advienne, même quand tout espoir semble perdu.

Stalker, un titre qui ne laisse rien présager de l'œuvre face à laquelle on va se trouver, mais ce n'est pas pour autant que tu as voulu nous piéger par cette duplicité. En effet, tous deux, nous l'avons bien compris, l'important n'est pas ce que l'on fait, mais pourquoi on le fait. D'ailleurs, chose amusante, le personnage central a pour sobriquet le titre de ton film. Comme si tu avais voulu nous dire que cette œuvre, c'était ton âme dans toute sa pureté que tu donnais à tous, sans exception, quel qu'en soient les risques et les conséquences. Ce personnage, d'apparence fragile et effacée, n'est que la personnification de ce que tu es au plus profond de toi-même. Sache que je m'y suis reconnu également et que ses faiblesses présumées m'ont rappelées les miennes.

Si j'avais une once de ton talent, j'aurais tant voulu créer une œuvre aussi grandiose, que ce soit dans sa beauté, sa laideur et même sa vérité, celle de la vie. La Zone, cette allégorie de la nature épargnée par la folie des hommes, même si aujourd'hui tu l'as enfin retrouvée, tu l'as rêvée et tu as réussie à travers une simple pellicule à la rendre vivante. Peu ont cette capacité de donner vie à ce qui semble pourtant mort, toi, en plus de la posséder tu t'en sers pour ouvrir nos coeurs.

Pour se faire, il fallait d'abord montrer la bêtise des hommes, afin de renforcer le contraste entre ces deux éléments duels. Sois en sûr, c'était comme si je sentais l'odeur de la mort et des cadavres en putréfaction en voyant cette ville tout de noir et d'ocre. Et que dire des dialogues entre l'écrivain et le professeur, tant et si peu de choses à la fois. C'est bien simple, j'avais l'impression d'entendre les mêmes discussions dénuées de sens, frivoles, confuses et incohérentes qui m'ont fait appréciées la solitude. La seule chose que je pourrais te reprocher par rapport à celles-ci, même s'il était nécessaire d'appuyer leurs vacuités constantes, c'est indubitablement d'en avoir usées sans modération. Être obligé d'écouter les discussions que j'ai tendance à fuir, a été un véritable sacerdoce tout le long du film et une terrible épreuve, autant qu'elles l'ont été pour le stalker. J'ai d'ailleurs souvent été à deux doigts d'avancer de quelques minutes pour retrouver ce silence qui nous est si cher.

Je ne voulais pas en arriver là, mais pourtant je le dois, par respect et surtout par sincérité devant le gâchis du message que tu as voulu véhiculé. Les vingt dernières minutes de ce film, qui aurait pu devenir un chef d'œuvre absolu, détruisent à elles seules toute l'harmonie, ainsi que le début d'interrogation que cela pouvait susciter chez le spectateur, ce que tu as pourtant tant désiré. Tu voulais montrer aux hommes qu'il fallait croire aux miracles pour qu'ils aient en eux la volonté de se surpasser pour son prochain. En réalisant ce film, tu étais conscient qu'il n'était pas destiné à des gens qui, ne tournons pas autours des mots, ont déjà la foi. Je ne parle pas forcément de la foi en Dieu, mais en quelque chose qui peut transcender la condition humaine l'espace d'un instant, celle qui rend possible les miracles. Ces gens, comme nous pouvons le constater chaque jour qui se fait, sont sceptiques, méfiants et ne se permettent à croire qu'aux idées purement rationnelles. Tu pensais, peut-être à raison, même si j'en doute plus que fortement, qu'il fallait les convaincre, leurs montrer que les miracles existent pour qu'ils puissent s'autoriser à y croire. Pourquoi, pourquoi avoir joué sur leur terrain, alors que ce n'est qu'une étendue de sables mouvants dans lesquels tu t'es toi-même emprisonné avec toutes bonnes choses déjà accomplies les deux heures précédentes ?... Si tu t'étais arrêté juste avant que nos trois pèlerins reviennent de la Zone, cela aurait provoqué de nombreux questionnements qui auraient été autrement plus fructueux que le fait de leurs imposer l'existence d'un miracle (de la Zone, la Force tu obtiendras). Il en va de même pour la bibliothèque qui suggère plus qu'implicitement que le personnage principal n'est pas si idiot qu'il en a l'air. Il était primordial qu'ils s'interrogent sur la nature du stalker, qu'ils essaient de comprendre par eux-mêmes quelles étaient ses réelles motivations, en allant puiser dans ce qu'ils leurs restaient d'humanité. Était-il vraiment nécessaire d'envoyer l'équipe du tournage de "Confessions Intimes" pour nous éclairer quant à la relation qu'il entretient avec sa femme et qui par une apparence trompeuse cache pourtant un amour inconditionnel. Je ne parlerai pas de la centrale nucléaire, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Oui, tu t'es détourné seul du sens de ton propos, les miracles dégagent, en effet, davantage de puissance quand on y croit et quand on se bat pour qu'ils se réalisent que lorsqu'on en jouit.

Au final, ce qui va rester dans les esprits, que tu as voulu ouvrir à des choses qui dépassent la raison, ne sont que des pensées dépendantes de la dialectique des hommes. Mais putain, quel gâchis !!! Si j'en avais le pouvoir, je ferai en sorte de supprimer cette partie coercitive de tous les DVD du marché. Certains hurleront au sacrilège, je suis d'accord en règle général. Ici, l'objet du film dépasse la fierté d'un artiste, c'est plus qu'une œuvre d'art, c'est l'électrochoc qui aurait pu réveiller certains comateux de la torpeur de notre civilisation. A l'image du stalker, il n'est pas fini le temps, où certains hommes s'endormiront, accablés par la tristesse de notre égarement...

PS : C'est ma 3ème tentative de critique afin de trouver les mots justes. Ils ne me sont venus naturellement que par ce procédé. Je posterai, peut-être à la suite, les deux autres critiques dont une 5 fois plus longue...
Mehdi-Ouassou
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le 31 mai 2011

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Mehdi Ouassou

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