Il est amusant d'aborder un film comme Stalker avec notre regard de spectateur actuel ; on lit le mince synopsis qui parle d'un guide emmenant deux personnes dans un zone où une Chambre permettrait de voir ses désirs les plus profonds exaucés et tout de suite on imagine un voyage étonnant, angoissant, où mille évènements vont se passer et qui terminera sur une révélation incroyable quant à la nature de l'endroit. Car au fond, tout est prévisible dans le cinéma d'aujourd'hui, dans sa grande majorité (ne généralisons pas).
Heureusement on sera très vite surpris (pour peu que l'on ne se soit pas renseigné un peu plus sur ce film) et l'on découvrira que l’œuvre de Tarkovski est tout autre. Tout en subtilité, en lenteur, le réalisateur distille son art à travers le parcours finalement peu aventureux de ses protagonistes. Bien sûr pour pénétrer dans la Zone, il faut esquiver patrouilles et barrages policiers, qui indiquent le potentiel danger qui émane de ce lieu. On ne sait pas vraiment au final l'origine de ce cloisonnement, météorite, conflit militaire ou désastre nucléaire ou chimique ? Cette dernière hypothèse semble la plus vraisemblable quand on se rappelle que la fille du stalker est malade et qu'il est dit que c'est souvent le cas de la progéniture des ces hommes se rendant fréquemment là-bas.
Le film masque les intentions du guide derrière un mystère terrifiant, les hommes progressent à pas de loups, ne vont jamais en ligne droite par le chemin le plus court, comme une allégorie du message que souhait faire passer son réalisateur. Pour le spectateur, le chemin vers l'art et l'émotion, la passion qu'il déclenche, ne peut passer par une ligne droite, rapide et dégagée. Elle doit se faire lentement, par des voies tortueuses, difficile d'accès et où il est ardu de progresser. Et les trois hommes de passer à travers des boyaux sombres, humides et boueux, des endroits lugubres et moites.
Tarkovski utilise aussi un changement frappant de couleur pour montrer le passage d'un environnement sépia dans lequel les hommes dépérissent et se morfondent, vers la Zone où la végétation reprend ses droits sur l’industrialisation, où les fleurs retrouvent des senteurs, où les tanks sont à l'arrêt et où tous les désirs peuvent se voir exaucés. Vraiment ?
On comprend petit à petit que la Chambre "magique" n'existe pas et que le Stalker l'a inventée ou qu'on lui a fait croire. Les réflexions et discussions philosophiques émaillent le film sur la nature du désir, ses dangers, ses motivations, et se révèlent passionnantes quoique complexes. On prend plaisir à réfléchir en même temps que les protagonistes. Il y aurait beaucoup de choses à évoquer mais les ressentir est tellement plus jouissif et puissant. On admire beaucoup de choses dans ce long-métrage qui a tout du chef-d’œuvre même si l'on peut comprendre que beaucoup lui reproches quelques séquences qui traînent inutilement en longueur comme l'arrivée sur le chariot dont le plan sur le visage des arrivants s'étire inlassablement. Mais comment en vouloir à Tarkovski quand certains plans sont d'une beauté étourdissante, à l'image de celui où les protagonistes sont assis par terre au seuil de la Chambre alors que la pluie vient sublimer visuellement et sur le plan sonore un tableau de maître.
Esthétiquement magnifique, profond et complexe dans son propos, Stalker est un film qui peut paraître intimidant et inabordable mais qui se révèle bouleversant et quasiment parfait dans son traitement. Le chemin vers l'art par une œuvre d'art, quoi de mieux ?
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