Starbuck
7.1
Starbuck

Film de Ken Scott (2011)

C'est plutôt rare, en France, que les films québécois arrivent jusqu'à nous, ou en tout cas, jusqu'au grand public. Récemment, le nouveau chouchou nommé Xavier Dolan a permis à nos oreilles snobs de se délecter de la musique délicieuse qu'est celle du québécois. Il faut bien le reconnaître, on a beau parler (plus ou moins) la même langue, l'esprit et les images utilisés au Québec sont bien différents des nôtres. Starbuck nous offre l'occasion de le constater à nouveau. Et que c'est agréable de voir un film intelligent ET drôle en langue française !

David Wosniak, éternel ado d'une quarantaine d'année apprend qu'il est le père de 533 enfants, alors que les dettes le prennent à la gorge (littéralement) et que sa copine est enceinte. En effet, vingt ans auparavant, il avait fait plusieurs dons de sperme sous le pseudo de "Starbuck" pour gagner rapidement de l'argent et aujourd'hui 130 de ses "enfants" ont entamé une procédure judiciaire pour connaître leur "père".
Le sujet est un brin saugrenu et aurait pu donner lieu à un film qui joue sur le graveleux ou uniquement sur le comique de situation (probablement ce que va donner son remake américain avec Vince Vaughn dans le rôle du héros...). Que nenni ! Ici, point de film à sketches. On se sert plutôt du prétexte comique pour insuffler une vraie réflexion sur la famille et la place accordée à l'homme dans notre société en tant que père potentiel.
Le personnage principal est entouré d'hommes, soit déjà pères, soit sur le point de l'être. Ainsi nous avons son meilleur ami qui se fait littéralement bouffer par ses enfants ("Les enfants c'est un trou noir qui absorbe toute ton énergie, ton temps, ton argent !" ; "Ils ne m'écoutent pas ! Mes enfants ne captent pas les fréquences de ma voix !") ; ses deux frères, l'un comblé par la paternité, l'autre qui voit sa vie de couple légèrement perturbée par son futur enfant ("Ne fais JAMAIS d'enfant, David !") ; et enfin, son propre père, seule figure paternelle rassurante du film. On constate d'ailleurs que, en dehors de la copine du héros, pas de mère à l'horizon. C'est donc bien de la place de l'homme, ou plutôt, du père dont il est question ici.
Ce personnage adolescent, vraiment pas prêt à élever un enfant et qui n'a d'ailleurs aucun désir de le faire, se questionne sur sa capacité et son désir de paternité lorsqu'il se retrouve à la fois confronté à sa paternité subie (ses enfants éprouvettes) et à celle qu'il peut contrôler (l'enfant que sa copine désire garder).
Lui-même étouffé par sa famille (il est le loser du clan), il n'a aucun désir d'en créer une nouvelle. Cependant, au fil du film, cet homme de 43 ans devient véritablement adulte, décide de reprendre le contrôle de sa vie, tant bien que mal, malgré les perturbations ambiantes. Contrairement au schéma classique, ici, pas de mièvrerie dans cette évolution. Il s'aperçoit simplement qu'il a besoin de s'ouvrir aux autres, de ne plus être centré sur lui-même et se découvre un désir d'aider ses "enfants". En découle une envie de fonder une famille. Et tout cela est mis en scène avec un humour rafraîchissant.

"El Masturbator" va donc avoir l'occasion de découvrir qui sont ces enfants nés malgré lui, dans toute leur diversité. Se pose alors la question, devant ces enfants désireux de rencontrer leur "vrai" père, du droit à la famille, comme ils l'expriment dans le film. Tous ces enfants (entre 15 et 25 ans) ont créé un comité pour la procédure judiciaire entamée et se retrouvent alors à se créer leur propre famille autour de ce même désir de père absent. Qu'est-ce que la famille au final ? On sait bien que les liens du sang ne sont pas les seuls que l'on peut assimiler aux liens familiaux et finalement, ce père qu'ils ont besoin de rencontrer (besoin naturel pour comprendre d'où ils viennent) n'est en réalité pas leur père. C'est peut-être cette question-là qui est au cœur du film : aujourd'hui, dans notre société, on aurait tendance à réduire le rôle du père à un rôle de géniteur donneur de sperme. De même, l'opinion publique accuse "Starbuck" d'être un pervers. Pourquoi ? Parce que le monde entier sait qu'il s'est masturbé au moins 533 fois ? La belle affaire ! Quel est le rapport avec la perversité ? Parce que, oui, aujourd'hui, dans notre société, l'homme est un pervers, au même titre que la femme est supposée vénale et superficielle. A la fin du film, on le dit bien : le don de sperme permet la création de familles pour ceux qui n'y parviennent pas par eux-mêmes. Un beau geste en vérité.
A la différence qu'en France, tout comme tout autre don, le don de sperme n'est pas rémunéré. L'action n'est donc motivée que par le seul désir d'aider les autres (ou une pulsion égocentrique pour pouvoir se dire qu'un maximum de sa descendance existera sur Terre... mais ne nous attardons pas sur ce genre de fantasmes bizarroïdes qui ne nous regardent pas). La question éthique du don surgit forcément dans notre esprit, en tant que Français. Finalement, le don contre rémunération empêche de réfléchir aux conséquences qu'il peut avoir, l'approche en est totalement différente.

Pour conclure – car il faut bien, ce n'est pas tout de suite que je vais refaire le monde – Starbuck est un film touchant, drôle, et traite de vraies questions de façon intelligente mais sans non plus en faire des caisses. J'aurais aussi appris quelque chose de fondamental dans la culture québécoise : quand les Québécois se retrouvent autour d'un feu de camp avec une guitare, ils chantent du Roch Voisine !
Holly_Golightly
8
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le 5 juil. 2012

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Holly_Golightly

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