Le film de Park Chan-wook, réalisé aux Etats-Unis avec une équipe et des acteurs américains avec de quoi inquiéter tant le film est sorti dans une discrétion inédite chez le réalisateur d'Old Boy, Grand Prix du Jury à Cannes, 2004. Il faut cependant dire qu'après avoir bouclé sa trilogie sur la vengeance, conclue par Sympathie for Mister Vengeance, PC-w a sorti deux films (Je suis un cyborg & Thirst) sélectionnés dans de nombreux festivals et dont le dernier a été récompensé du Prix du Jury à Cannes. Mais une sortie, aussi peu médiatisée de l'un des réalisateurs coréens les plus appréciés par les cinéphiles français, avait de quoi inquiéter et cela commence par le fait qu'il s'attaque à une commande de studio américain.

Il faut dire que les Etats-Unis ont toujours fait appel à des talents internationaux pour réaliser des productions nord-américaines. Si certains s'en sont bien tirés, Nicolas Winding Refn est l'un des derniers exemples en date, beaucoup se sont cependant cassés les dents sur des commandes de studios. Jean-Pïerre Jeunet, Olivier Dahan, ou Kim Jee-woon avec son Dernier Rampart sorti en début d'année peuvent en témoigner. Pourtant si le succès commercial n'est absolument pas assuré pour cette première expérience américaine, le film a des qualités indéniables qui séduiront la critique et les cinéphiles.

PC-w n'a jamais caché son amour pour les films d'Hitchcock, et c'est d'ailleurs dans Vertigo/Sueurs Froides qu'il voit son avenir construit sur son envie de faire du cinéma. Un film qui va influencer ce Stoker, tant les thèmes abordés sont aussi morbides, érotiques mais aussi envoûtants et terriblement palpitant. C'est là que la reconnaissance d'un grand réalisateur international se fait ressentir, la reconnaissance d'un visionnaire qui a réussi à instaurer sa vision d'un métrage à Hollywood, aussi personnelle et malsaine soit-elle.

Avec un sujet pareil, William Friedkin aurait pu aller encore loin, mais PC-w a suffisamment étoffé son récit pour proposer une oeuvre très intrigante, très malsaine mais pour autant pleine de charme, d'esthétisme et de charisme. Grâce à ces trois interprètes principaux, dont une Mia Wasikowska méconnaissable et d'une crédibilité déconcertante tandis que Matthew Goode fait de son personnage l'un des héritiers d'Harry Powell (La Nuit du Chasseur) et de Norman Bates (Psychose), aussi dérangé et séduisant soit-il. Derrière ça, il reste une Nicole Kidman légèrement en retrait par rapport à la relation entre Oncle Charlie et India mais sa présence apporte le côté commun des mortels face à ces deux personnages, mentalement d'un autre monde. A noter un rôle très court pour Dermot Mulroney (Zodiac, Le Territoire des loups), malheureusement.

Car c'est là toute la grandeur du personnage d'Oncle Charlie, Matthew Goode arrive à le rendre aussi instable que séduisant, faisant qu'au fil du film, le spectateur s'embarque dans cette virée morbide avec un sentiment d'attraction, où l'élégance, la culture et le charme de cet illustre inconnu séduisent rapidement, et de répulsion de par son comportement, son insatiable envie de répondre à ses pulsions incontrôlables et ce côté millimétré dans ses actes qui le rendent pour autant imprévisible. La relation avec India est d'autant plus frappante, ressemblant davantage à une relation professeur-élève qu'à un lien familial. Chacun étant atteint par des pulsions morbides qu'il convient de contrôler ou de combler par le biais d'activités diverses. La Chasse étant l'une d'entre elles. Le rapport au sexe et à la mort est aussi bien employé et l'excitation que cela peut produire est rendu à l'écran, de manière simpliste mais tout aussi efficace.

Derrière cet ensemble de bons points qui font plaisir à voir pour une première expérience américaine, quelques défauts ressortent de ce long-métrage. Car sous ses airs de scénario dérangeant, Stoker reprend le fil conducteur d'intrigue ayant déjà marqué le cinéma et Hitchcock fait partie de ses réalisateurs s'étant déjà essayé à l'exercice (Sueurs Froides, Psychoses, etc.). PC-w reprend le flambeau de son illustre maître et donne une esthétique, une mise en scène impeccable pour un récit, de Wentworth Miller (Prison Break), qui se veut peu conventionnelle mais qui n'est en fait qu'un sujet tabou dans une société où ce type de scénario est relativement discret et peu médiatisé (sur le fond, Killer Joe avait bien plus marqué les esprits, l'an passé). La prévisibilité de ce scénario enlève tout effet de surprise et l'intérêt vient alors surtout de s'extasier devant la photographie du film plutôt que son fond, certes peu fréquent mais tellement attendu. Les regrets viennent aussi du fait que (parce que c'est une production américaine (?)) le montage s'emploie à intégrer assez fréquemment de très brefs flashbacks qui rappellent les éléments du début ou du milieu du film, un peu comme une assurance au cas où le spectateur n'aurait pas compris. Ce procédé paraît presque vexant lorsque certaines scènes, s'étant déroulé une dizaine de minutes plus tôt, réapparaissent à l'écran.

Une conclusion ? Park Chan-wook a réussi son exercice nord-américain. Stoker marquera sa filmographie de par le fait que réussir un exercice de ce style est rare chez les réalisateurs internationaux. Cependant il n'en fera pas l'oeuvre marquante de sa carrière de par la réussite déjà totale de sa trilogie de la vengeance. Stoker est néanmoins une oeuvre envoûtante, morbide, enragée, profondément amoral et déstabilisant dont les thématiques marquent les esprits de par leur traitement. Une intrigue qui au fur et à mesure qu'elle défile devient de plus en plus surnaturelle. Un casting élégant complète la réussite du film mais surtout la photographie très léchée du réalisateur coréen confère au film un charme spectaculaire et esthétique qui confirme le talent de ce faiseur d'images. De Stoker, on retiendra surtout le fait que les festivals ont manqué de reconnaissance au film de Park Chan-wook qui ne s'est pas cassé la figure sur un projet américain et qu'au contraire, il aura même convaincu que sa maîtrise pouvait dépasser les frontières. Et rien que pour ça, Stoker mérite toute notre attention.
Softon
7
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le 7 mai 2013

Modifiée

le 8 mai 2013

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Kévin List

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