Un réalisateur novice dont le CV se limite à des clips pour des groupes gay friendly et une sympathique comédie romantique (500 jours ensemble – pas mal, j'ai fait mieux. Une fois.). Un studio, la Columbia, qui se prend pour la Warner sans en avoir les couilles. Un acteur principal compétent mais aux épaules a priori trop frêles pour le costume, lui aussi gay friendly, certes, de Spidey. Disons en résumé que je n'étais pas particulièrement impatient de découvrir le résultat de cette improbable association. D'autant que la mise au placard de la vision de Sam Raimi apparaissait alors comme un manque de loyauté envers celui qui avait réussi l'incroyable pari de porter les aventures de Peter Parker à l'écran après des adaptations hilarantes de médiocrité. Les passionnés de comics sont cependant habitués à ces revirement éditoriaux qui font, depuis le légendaire cross-over de DC Crisis on Infinite Earths (1985), partie de l'ADN du médium. The Amazing Spider-Man est donc une introduction à l'univers de Stan Lee et Ditko, qui se concentre sur la découverte par Parker d'un mystérieux document laissé par ses parents disparus alors qu'il était encore dans la petite enfance, qui le mènera à entrer en relation avec le touchant Connors, collègue de son père obsédé par un projet de reconstitution cellulaire qui lui permettrait de regagner son humanité, pense-t-il, en même temps qu'un membre estropié. La boîte de Pandore est grande ouverte...

The Amazing Spider-Man est de toutes les bandes dessinées, plus encore que Batman, celle pour qui l'utilisation de l'espace, qu'il soit vertical ou horizontal, est le plus important. A la fois moteur du récit et « personnage » faisant office de soutien, littéralement. Spidey, peu importe ses pouvoirs, n'est rien sans l'architecture particulière du downtown de New York. Cet aspect est formidablement bien montré dans le film de Marc Webb, notamment lors d'un passage capital où Parker apprivoise son environnement et s'en fait le meilleur ami qu'il n'ait jamais eu. Cette figure imposée semblera peut-être redondante aux lecteurs du comics, mais le traitement est exaltant tant les acrobaties multiples, les changements d'axe et les sauts épousent finalement, dans une métaphore visuelle cousue de fil blanc mais tellement évidente, une liberté conquise et assumée après des années de gravité. La perte des parents comme métaphore de celle des ailes de l'enfance. Ca fera peut-être ricaner, peu importe, on comprend à ce moment que l'adaptation est incarnée, et donc sincère. Le caractère singulier de l'espace matériel est également usé, lors d'un passage émouvant, pour souligner la fraternité qui unit le héros aux simples citoyens désireux de porter assistance au justicier blessé, à bout, se fracassant contre les escaliers de secours et les corniches des immeubles. « Let's give him a little help from his friends ». C'est simple, encore fallait-il enfin dévoiler cet aspect de la bande dessinée, bordel.
La force de ce métrage est de placer le projecteur sur les failles intimes du personnage, sans d'ailleurs tenter de les résoudre, bien au contraire en réalimentant l'invariabilité d'un drame intérieur que la puissance et le mouvement perpétuel rendent encore plus tangible et douloureux. Spidey peut à la fin sourire, il est condamné au tragique, condamné à perdre ce qu'il a de précieux, à broyer le noir du passé dès qu'il ne tisse plus sa toile. Le scénario développé par James Vanderbilt n'a pas pour objectif d'éblouir, guère celui d'impressionner; il vise le cœur, avec ce déferlement de naïveté et de sentimentalité impliquant tous les personnages, amis, ennemis, alliés, amours, parents, liées par une même tendresse pour ce qui a été perdu à jamais et ce qui mérite d'être sinon sauvé du moins commémoré. The Amazing Spider-Man n'est ainsi pas un film de duel, de confrontation, mais une polyphonie, une... toile dans laquelle les personnages sont tous scotchés à leurs affects. Le film a plusieurs messages ; celui qui m'a le plus ému est le suivant : on peut être le loser, le souffre-douleur, le lâche, l'aveugle, le fantôme ; on n'en reste pas moins, parfois en secret, s tant est qu'on est quelque vertu, le héros d'au moins une autre personne. Avoir su mettre en scène autant de réel dans un si gros budget est fort, très fort, d'autant plus à l'intérieur de scènes d'action d'une élégante sobriété, intelligentes et spectaculaires, mais à contre-courant si l'on songe aux modèles grandiloquents que sont Avengers ou Transformers 3. Le film a pourtant bien des carences, mais, cette fois, je m'en fous. Il est si rare que le cœur embrasse ce que les yeux voient.
Procope
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le 8 juil. 2012

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