Pourquoi faire un reboot de Spider-man tout juste dix ans après le premier épisode ? Pourquoi faire table rase alors que le quatrième opus était déjà mis en chantier ? Pourquoi la tartine tombe toujours du côté confiture ? De trop nombreuses questions, voilà ce que soulève The Amazing Spider-man. Inutile d’essayer de faire un historique de la cuisine interne de ce nouveau départ, tant la spéculation est aisée face à des informations fragmentaires. Il n’y a qu’un fait à constater : Spider-man repart à zéro et personne ne sait trop pourquoi. Le cinéphile tente de reconstituer les pièces du puzzle à sa sauce pendant que le public lambda, lui, se lance dans des théories qui auront au moins le mérite de faire rire la première catégorie. Ainsi avez vous pu peut-être croiser, devant les affiches teaser, de jeunes gens déclarant qu’ils repartent à zéro parce que « les autres films ont trop pas marché » (Ben ouais Spider-man III, c’est juste 890 millions de dollars au box-office mondial ! Même pas un milliard comme Avengers ! Non mais la tehon !) ou parce que « l’acteur principal est mort » (d’un point de vue métaphorique, c’est pas complètement faux). Mais bon, comme le dit le grand boss Avi Arad, ce n’est pas grave que personne n’y comprenne rien car le public est toujours prêt à voir une bonne histoire. Et The Amazing Spider-man en a une bonne… ou pas.
Mettons donc de côté l’idée d’effacer le tableau pour tout recommencer. Après tout, à la manière des univers cross-over développés par Avengers, reprendre un super-héros depuis ses origines est une manipulation souvent vue dans les comics books et il n’est pas aberrant que le processus cinématographique le reprenne à son compte. Mais face au désenchantement du film de Joss Whedon, il faut bien voir ce qu’on nous propose sur un tel concept, surtout quand on se vante d’offrir « l’histoire jamais révélée ». En un sens, on peut presque prendre espoir devant l’intro du film. L’angle adopté est pour le moins étonnant puisqu’il convoque le Hulk d’Ang Lee. Ainsi, découvre-t-on un Peter Parker enfant s’aventurant dans le bureau dévasté de son paternel. Ce dernier le dépose en précipitation chez oncle Ben et tante May avant de disparaître à jamais. Bref, comme chez Ang Lee, on s’écarte là de la genèse communément admise en créant un trauma spécifique que le héros devra décrypter. De même, ce remodelage semble impliquer des modifications sur la nature même du héros et de ses pouvoirs comme le laissera entendre l’apparition finale de Norman Osborn.





Sans forcément se permettre une originalité monstrueuse, la voie empruntée montre bel et bien une volonté de réinvention et donc une exploration de nouvelles composantes émotionnelles. Or, justement peut-être parce que l’orientation de Lee sur Hulk n’est pas en odeur de sainteté, The Amazing Spider-man se montre d’une retenue particulière dans ce choix. En l’état, le décryptage de cette nouvelle genèse ressemble plus à un tâtonnement pour voir si le public est prêt à accepter ces modifications du mythe populaire. Lorsqu’on demande à Avi Arad de se souvenir de la préparation du quatrième opus avec Raimi aux commandes, il déclarait dans Mad Movies : « Il faut trouver quelque chose de nouveau à dire sur Peter. On aurait pu suivre son mariage, la naissance de son premier enfant mais ce n’est pas Peter Parker. Pas encore. Peut-être qu’un jour on se risquera à parler de ça ». Le terme est lâché. Il faut prendre le risque de soutenir un certain propos. Et The Amazing Spider-man ne veut pas prendre de risque, quitte à devenir léthargique. En résulte que, malgré une durée excédant les deux heures, l’objet fait globalement du surplace, ne révèle pas grand chose et n’arrive même pas à instaurer des effets d’annonce palpitants.

De cette retenue provient également la difficulté à assumer les nouvelles composantes. Durant la promo, avait filtré le concept d’un reboot proche du Batman Begins de Christopher Nolan. Une annonce impliquant un traitement plus réaliste mais qui conduit surtout à un changement thématique. Si il n’y a qu’un enseignement à retenir de la création de Stan Lee et qui sera repris par les films de Sam Raimi, c’est bien sûr ces paroles de l’oncle Ben : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Un message que The Amazing Spider-man ne choisit pas de poser si ouvertement. Avec le meurtre de son oncle, Peter Parker vire plus du côté du chevalier noir dans un processus de quête vengeresse teintée d’une obsession maladive d’expiation. Un choix étonnant, trahissant très sûrement le personnage initial mais ne manquant pas moins d’intérêt. Mais là encore, le long-métrage ne s’assume pas. Une série de truchements narratifs de mauvais aloi (le petit Parker a sottement donné la formule chimique qui transformera le docteur Connors en monstrueux lézard) viendra remettre le récit sur les rails du discours traditionnel sur la responsabilité. Tout ceci fait de The Amazing Spider-man un galop d’essai pour le moins incertain.





C’est après tout le problème de n’importe quel départ de franchise. Du Batman de Tim Burton au X-Men de Bryan Singer, les films de super-héros proposent leur univers avec parfois un certain nombre de filets de sécurité afin de voir si le public l’accepte sans trop le brusquer. On est souvent dans un champ d’expérimentation contrôlé dont les restrictions peuvent être levées suite à une première réussite. Mais pour réussir, il faut donc oser et au moins proposer. Avec Marc Webb aux commandes (le miscast de l’année), la sensation de vide face aux hésitations de la production devient insupportable. De manière prévisible, le bonhomme est tout à fait incapable de satisfaire les passages d’action déjà peu nombreux. Même le gimmick alléchant de la vue subjective vendue par la bande annonce ne se montre qu’un gadget barbant. Là où celui-ci pouvait promettre d’immersifs plan-séquences (ou tout du moins de longues prises immersives), le dispositif reste noyé dans un découpage pépère parfaitement à la mesure des actions dépeintes. Au moins, cela s’accordera avec le reste de la mise en scène en tout point télévisuelle où absolument aucune composition de plan ne devient vectrice d’émotion. Comme souvent dans ce genre de cas, ce ne sont pourtant pas les occasions qui manquent. Par exemple, pour amener le passage de la morsure, le script conçoit une séquence dite de la pluie d’araignée. Sans être arachnophobe, il y a là un passage assez glauque à exploiter. Webb se contente de filmer la chose gentiment à distance sans aucune forme d’implication.

Une banalité inhérente à la volonté d’une conception plus réaliste à la Nolan et donc à un refus de l’exagération. Un choix pas forcément adéquat avec un personnage possédant des pouvoirs aussi surhumains que Spider-man mais qui pouvait donner des choses intéressantes comme une opposition entre la figure extraordinaire du super-héros et le côté morne du quotidien (la séquence du masque avec l’enfant). Mais tout ceci n’aboutit qu’à une somme de mauvais choix, à commencer par le design du lézard. Alors que le personnage des comics a une vraie tête de reptile allongée, le personnage du film a un faciès conservant une morphologie humaine. Une manière de dire « on n’exagère pas nous » mais qui conduit à rendre le personnage peu esthétique et charismatique (son visage à plat allié avec son sourire figée de saurien lui donne un bel air idiot). De par son désir d’être plus réaliste, le moindre écart de conduite devient une source d’embarras. Comment accrocher au personnage de Gwen Stacy (la mimi Emma Stone) tant celui-ci est si parfaitement irréel ? Elle est jeune, belle, intelligente, donne des cours particuliers et bosse à mi-temps dans un laboratoire de haute technologie… n’en jetez plus ! Si on a souvent critiqué la manière dont la trilogie originelle versait dans le niais et le gnangnan, Raimi assumait les caractéristiques abstraites de son univers. Dans cette construction, sa manipulation de l’humour et de la romance avait tout lieu de fonctionner. Dans son orientation terre à terre, Marc Webb fait ressortir avec cent fois plus de violence les passages niaiseux. Voir Parker chouiner pendant trois plombes avant d’avouer son identité à Gwen constituera une belle expérience d’endurance pour tout fan du personnage.

On revient au bout du compte à cette impression de vrai-faux nouveau départ. Sans identité visuelle et n’assumant aucune de ses idées, The Amazing Spider-man n’est qu’une monstrueuse coquille vide. Au moins, quand Roger Corman produisait à la sauvette ses Quatre Fantastiques dans une pure optique de conservation de droits, il avait la décence d’y mettre juste trois francs six sous et de ne pas vendre l’objet sous des accroches pompeuses.
Courte-Focalefr
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le 29 janv. 2013

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