« Hazanavicius et Dujardin font un film ».

Ceux qui, comme moi, ont trouvé leur compte dans les "OSS 117" et ont vu "Le grand détournement" autant de fois qu'ils ont de camarades et ont connu de jours de pluie ne manqueront pas de tendre l'oreille. D'autres (voir les mêmes) se consterneront en constatant, impuissants, que l'ancienne « vedette » de Brice de Nice s'est vu octroyé un prix d'interprétation à Cannes, entre autres nominations hasardeuses que ce festival a pu engendrer.
Enfin, certains indécis ont poussé le vice jusqu'à aller à l'avant première du film, après un coup d'oeil distrait sur le synopsis, espérant trouver quelque grain d'émotion porté par les vents dans leur désert culturel (la ville de Troyes, pour ne pas la nommer).

Mais parlons du film (muet, j'y reviendrai). L'histoire est centrée sur le personnage de George (tiens tiens...) incarné par Dujardin , ici un acteur muet acclamé qui devra s'adapter aux bouleversements du septième art causé par la généralisation du cinéma parlant. Ce « progrès technique » s'accompagne dans le film de la venue de nouvelles recrues d'Hollywood, qui ne manqueront pas de faire de l'ombre à notre sympathique interprète au point de le faire passer pour un « Has-been » aux yeux d'un public décidément bien influençable et peu fidèle. Parmi ceux-là se trouve une dénommée Peppy Miller qui croisera la route de George à de multiples reprise et sera catapulté du rang de figurante à celui de star. L'évolution de l'influence relative dans le milieu de ces deux là et de leur relation constitue le fil conducteur du film. A cela s'ajoute Clifton, le fidèle majordome de Monsieur et son non-moins fidèle chien que j'ai rapidement surnommé « Milou ».

De fait, ce dernier accompagne notre héros durant tout le film. Je n'ai en général pas beaucoup d'affection pour ces animaux (au demeurant respectables) dressés pour un cinéma racoleur qui essayent de faire vibrer le coeur des amis des bêtes pour faire du box office en restant tout le temps agrippés au film comme des tumeurs sur pattes. Les premières minutes du film faisant suite à une magnifique pub de Tintin (en 3D), je sentais déjà la nausée arriver. Néanmoins, ici, la tumeur est bénigne et se révèle même en harmonie avec le film, de par la conception et sa réalisation de celui-ci.
En effet, le choix de faire un film muet et en noir et blanc est ici un hommage au cinéma des années 20. Ainsi, cette « grosse ficelle » du chien fidèle s'intègre correctement avec celles du scénario et aux autres caractéristiques de ces vieux films : expressions exagérées (la raison du prix d'interprétation, sans doute), costumes et décors d'époque... A cela s'ajoute naturellement la musique, véritable structure du cinéma muet, adjointe ici à quelques touches de bruitages (pas trop mal inspirées) et dont l'ensemble réussit à porter le spectateur et à lui faire ressentir le film.
Car du ressenti ici il y en a. Là aussi, on fait dans l'exagération. Le côté humoristique est naturellement servi avec un style assez « direct » où l'on reconnaîtra en filigrane le Noël Flantier d'"OSS 117". Mais Dujardin sait aussi faire dans le triste, comme il tend à le montrer depuis quelques films, et force est de reconnaître qu'il se débrouille ici aussi bien que dans son domaine d'origine, porté dans les deux cas par son expressivité et quelques arrangements musicaux dans le ton.
J'ai pour ma part trouvé sympathique cet ancien héros orgueilleux et désemparé (et je crois ne pas être le seul) ; l'appréciation de ce film passe en partie par l'empathie que le spectateur éprouvera pour ce personnage. Chacun en sera juge.
La pétillante « rivale » de George, sous les traits de Bérénice Béjo, incarne aussi son personnage à coup d'excès et de mimiques, ici aussi tout à fait dans le ton et avec un naturel bien agréable, formant avec son aîné un duo laissant peu de place aux longueurs et aux temps morts. Les autres personnages, tout aussi caricaturaux, complètent correctement le tableau. Le domestique réussira même à s'attirer quelques sympathies de la part du public (à coup de « tricks » sentimentaux évidents, là encore).

La technique du muet, parti pris à priori bancal du réalisateur, adjointe à quelques éléments plus modernes est donc un des points forts du film. Mais elle en est aussi l'un des thèmes et on verra ici aisément un parallèle avec les avancées techniques actuelles.
Sans pousser très loin la réflexion sur ce sujet, le film a aussi le mérite de faire incarner à son personnage le sacrifice d'une forme « archaïque » du cinéma, balayé avec mépris par une forme d'art plus « actuelle ». La performance de l'acteur et les qualités intrinsèques de l'œuvre sont occultés par le paraître et le sacro-saint « progrès ».
On rapprochera aisément cela aux tendances actuelles des lobbies « trois déistes » pour qui on est en droit de penser que vendre des projecteurs numérique pour remplacer des projectionnistes et marginaliser des cinéastes « d'auteur », vendre du dessin numérique pour remplacer des dessinateurs (voir mêmes des acteurs) et vendre du spectacle pour remplacer des émotions est plus important que de contribuer à ce qui fait du cinéma un art.
Naturellement, le passage au cinéma parlant n'a pas eu cet effet déshumanisant ; on regrettera peut-être certaines mimiques qui devaient se substituer à la parole, mais les acteurs inspirés en sont toujours capables. On regrettera par contre bien plus que la logique financière d'une partie grandissante du cinéma actuel soit moins compréhensive que la charmante Peppy Miller du film. Ici encore, tout le monde aura son point de vue, le mien sera celui d'un expatrié vivant dans une zone urbaine de 120 000 habitants qui compte un seul cinéma et qui arbore encore en son centre les vestiges des devantures d'anciennes salles obscures.

Au final, on a là une œuvre agréable (et grand public) menée par un réalisateur ambitieux qui a su éviter à un projet a priori instable de s'effondrer malgré des idées inhabituelles pour un film de cette envergure. Le tout est soutenu par des acteurs efficaces et une technique maîtrisée, servant un ensemble riche en émotions diverses malgré leur aspect flagrant. L'expérience cinématographique reposera ici beaucoup sur la sensibilité du spectateur vis à vis des personnages et des originalités du film, de même que son éventuelle interprétation concernant l'évolution de l'industrie du septième art.
Monsor_Feisant
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le 5 oct. 2011

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