Le passage du muet au parlant a sans doute été la période la plus difficile à vivre pour le cinéma. La ringardisation d'acteurs incapable de s'exprimer, les coûts inhérents à la refonte des studios pour permettre aux ingé sons nouvellement arrivés de faire leur travail correctement, tout cela ne s'est pas fait sans heurts. Des génies comme Charlie Chaplin ont réussi à s'adapter, quoique difficilement, à ce courant nouveau, d'autres ont sombré dans l'oubli. C'est cette période charnière que décrivait déjà l'un des chefs d'œuvre du cinéma américain, Chantons sous la pluie. Au tour de The Artist de s'y attaquer.

Pas facile de marcher dans les traces d'un tel film, qui fait aujourd'hui partie des grands classiques hollywoodiens, et qui n'a, pour ainsi dire, pas pris une ride. The Artist s'en sort plutôt bien, en utilisant une méthode aux antipodes de celle de la comédie musicale : le muet. Pari risqué que de conter la fin d'une époque en utilisant les principes qui l'ont repoussé dans l'oubli. Et si le film s'en sort, c'est avant tout grâce aux talents de ses interprètes.

Car côté scénario et réalisation, on peut le dire, il n'y a pas là de quoi casser trois pattes à un canard (pauvre canard). On sent une envie de reproduire l'ambiance des films d'époque, dans les cadrages, la lumière, la mise en scène, mais sans trop savoir si le réalisateur se place du côté de l'hommage, de la parodie ou s'il s'agit d'une volonté de faire un film "comme avant". Personnellement, je pencherai plutôt pour la première option, le jeu de Dujardin et certaines scènes, plutôt ingénieuses par ailleurs, créant une démarcation radicale vis-à-vis des années 30. On ne peut d'ailleurs que constater certains plans hommage à Citizen Kane, qui rendrait le côté "film d'époque" franchement anachronique.

Quant à l'histoire à proprement parler, sans surprise, elle tiens sur un papier de cigarette. Pas facile de développer des sous intrigues sans qu'un mot soit prononcé, on ne critiquera donc pas outrageusement cet aspect, même si effectivement on aurait aimé éviter le trop convenu. Les personnages auraient gagné à prendre plus d'épaisseur, et l'opposition entre la fierté et l'ego de George Valentin et la fraicheur et l'innocence de Peppi Miller est par trop classique pour surprendre.

Reste donc la prestation de ses acteurs, et là force est de reconnaître qu'on touche au sublime. On a assez développé sur le jeu tout en finesse de Dujardin, justement récompensé à Cannes, on ne peux passer sur celui de Bérénice Béjo, qui illumine l'écran à chacune de ses apparitions, à l'instar de son personnage. On regrettera juste sa tendance à en faire des tonnes, accentué par la comparaison avec son partenaire. Ajoutons à cela des seconds rôles impeccables, souvent touchants, et on obtient un film sans grande surprise mais toujours juste, parfois émouvant, souvent drôle et sans aucune prétention. A voir sans hésiter.
Hyunkel
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le 18 oct. 2011

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Hyunkel

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