Je ne sais pas. Non, je ne sais pas quoi penser de ce film.
The Artist fait partie de ces films qui font se poser une triple question : était-ce un gag ? était un ramassis de cliché ? était-ce excellent ?
Quand on se pose ce genre de question, on peut l'aborder de trois façons.
Le connard cynique et désabusé aura tendance à dire que c'est de la merde, surtout quand c'est un film français, surtout parce que c'est un « hommage », surtout parce qu'il y a Jean Dujardin, que c'est populaire, que c'est mainstream (le cynique désabusé est un hipster, mais il ne faut pas lui dire). Si on lui demande pourquoi c'était de la merde, il vous répondra « parce que c'est de la grosse merde » (niveau 1), « parce que Jean Dujardin est à chier » (niveau 2), « parce que ça ne rend pas du tout hommage aux films muets » (niveau 3), « parce qu'il n'y a pas de scenario » (niveau 4), « parce que sous prétexte de rendre hommage aux films muets (ce qu'il ne fait pas, c'est pathétique, on dirait une parodie), le scenario passe, à la trappe, et en plus ils font jouer un acteur populaire (de merde), en se disant que ça passera forcément chez la classe populaire (de merde) qui n'y connait rien au cinéma » (niveau 5, you won). Le connard cynique et désabusé sort généralement le même type d'arguments quand il n'aime pas un film. Il utilise plus souvent le mot « merde », mais j'aimerais que ma critique reste tout public, merci.
Il y a la gentille petite fille (oh, je stigmatise) ou le gentil petit garçon qui s'émerveille de tout. C'est le pire ennemi des connards cyniques désabusés et des critiques de films. Ce qui revient au même. Mais moi je l'aime bien, il retourne aux sources du cinéma : l'émerveillement. Il trouvera le film « génial ! », voire « GENIAL !!! » en majuscule et avec trois points d'exclamations (et encore, c'est quand il est un peu fatigué). Ses arguments seront : « Dujardin joue SUPER bien » (niveau 1), «tu comprends, c'est un magnifique hommage » (particulièrement s'il n'a jamais vu de films muets) (niveau 2), « c'est un superbe hommage, en plus Dujardin joue super bien, et il a une moustache ! » (j'avoue que cet argument là me parle particulièrement) (niveau 3). Il est mignon, il est gentil. Bon, voilà.
Et puis on peut essayer, empli d'une conscience professionalo-critique qui ne regarde que nous, et dont tout le monde se fiche éperdument (ne serait-ce que parce que les lecteurs de critiques de films préfèrent les connards cyniques désabusés, plus drôles), d'établir une nuance. Moi, c'est ma formation de littéraire du dimanche (ou plutôt du mardi matin, 9h, heure de mon cours de littérature) qui m'a donné le goût de la chose bien faite (et du don de de... de soi), qui m'a donné l'envie de décortiquer tout ça, de faire comme-ci tout avait été pensé par l'auteur (avouez, c'est ce qui vous frustrait tant dans vos cours de français, avec la fameuse interrogation existentielle « mais vous croyez VRAIMENT que ce type a fait exprès de placer une métaphore LA ? ». Oui. Ou en tout cas c'est le boulot du littéraire de le croire).
Plongeons-nous donc dans ce film, The Artist, que trop de gens ont qualifié d' « hommage au cinéma muet ». C'est faux. Non, ne me regardez pas comme ça, c'est faux. C'est un hommage au cinéma.
Comme cette critique, ce film est une sorte d'amalgame homogène (ou pas ?) du cinéma contemporain et du cinéma muet. On y retrouve les codes, la « grammaire cinématographique » (regardez comme je suis snob) héritée du muet (là je devrais préciser : de ce que j'en ai vu, je me suis surtout concentrée sur les Keaton et Chaplin des débuts, et Méliès, mais lui est bien trop vieux)(oui, ça casse le côté snob, tout de suite), ce détail de l'image qui dévoile tout. Dans un film contemporain, ce genre de détails trop évidents qui annoncent la scène, qui annoncent la suite, sont de trop, et feraient un mauvais film. Mais dans un film contemporain, la musique qui annonce « attention, c'est un moment à suspense, là, si si, écoute bien » peut vite être lassante, le spectateur (surtout le cynique) se dit « on nous prend pour des cons ». Ici, c'est tout simplement l'héritage d'un autre siècle, que dis-je ?, d'un autre monde !, un monde où l'on n'était pas habitué à la lecture des images, où il fallait une explication qui, de plus, ne devait pas être parlante et pourtant explicite. D'où les « grimaces » dont se moque la protagoniste. Et pourtant, et pourtant, tous ces codes qui sont sur exagérés dans le cas de ce film précis, nous les retrouvons... partout ? Comme si The Artist donnait une nouvelle grille de lecture des films contemporains, à la lumière des codes du muet qu'il met en évidence... Tout en gardant certains types de cadres très actuels, pour ne pas trop déstabiliser.
Ensuite, le jeu des acteurs. Plus problématique. Je vous dirais bien que « Jean Dujardin a une moustache. Une MOUSTACHE », mais je crois que peu de lecteurs seraient sensibles à cet argument. Disons alors que c'est là le point fort du film : non, il ne s'est pas simplement agit de singer des acteurs muets. Il s'agit là encore de jouer sur la nuance, sur la limite du muet et du parlant. Ce ne sont pas des acteurs muets, ce sont des acteurs parlants qui jouent dans un film muet, et tentent de s'en approprier les codes. Alors voilà, permettez-moi de ne pas être une cynique désabusée : Jean Dujardin était brillant dans ce rôle. Et pire : je m'y attendais. Dans tous ses films, c'était un personnage parlant mais grimaçant, qui jouait dans une légère surenchère propre au mime plutôt qu'au théâtre (bizarrement, on pardonne plus aux acteurs de théâtre...) (sauf pour De Funès) (c'est con, je déteste De Funès, d'après moi c'est le pire acteur que notre terre ait jamais portée) (fin des parenthèses). Je crois que là il s'agit de la sensibilité de chacun, je pourrais parler de Dujardin comme de tous les autres : ils ont rempli un contrat, montrer qu'ils ne sont pas acteurs de muet et pourtant jouer comme tels, c'est-à-dire dévoiler la supercherie du film pour en découvrir tous les mécanismes et le but (du moins, ce qui m'a semblé être le but en le voyant).
Enfin le point critique, la fragilité, le reproche principal : le scenario. Ah, ce fameux scenario, « discret » pour les gentils, « inexistant » pour les autres, « merdique » pour les connards désabusés (si vous avez bien tout suivi). Là encore, je ne sais pas. Je suis mitigée, partagée. Parce que ce scenario, je l'ai déjà vu mille fois, de différentes façons, on pense peut-être aux Feux de la rampe de Chaplin, je ne sais pas, c'est vu, revu, rerevu... Et c'était un thème assez récurent dans la fin du muet. La fin du muet, c'est l'histoire du film, non ? oh bah tiens, c'est amusant ça... ne serait-ce donc pas fait exprès ?! Le film est découpé, articulé sur l'idée du passage au parlant, avec les effets de son et absence de son, musique absence de musique, acteurs parlants qui jouent du muet, codes du muet dans un film qui sort à l'époque trop installée du parlant...
Au fond, ce film est juste cohérent avec lui-même.
Il n'est pas dit que l'auteur ait vraiment eu cette double volonté d'hommage au cinéma en général et à son héritage du muet en particulier. Il n'est pas dit qu'il n'ait pas juste pris un scenario pas trop compliqué et se soit dit « oh bah tiens, je vais faire un film muet, bitches loves les films muets ». Il n'est pas dit qu'il se soit bien foutu de nous, ou qu'il n'ait pas vraiment réfléchi à tout ce qu'il pouvait y avoir dans ce film.
Mais dans ce cas je n'aurais plus du tout foi en l'humanité et dans le cinéma.
Et moi j'aime bien le cinéma, j'aime bien l'humanité aussi parfois, alors on va dire que tout ce que j'ai vu, c'était vrai.
Et puis... Jean Dujardin a une moustache, quand même...