Nostalgie quand tu nous tiens
À une époque où l'on convertit en 3D des films datés dans l'espoir de faire oublier qu'ils sont plats, où le son passe par une infinité de canaux et où la pellicule suscite la nostalgie des rats de salles obscures, The Artist fait un pari. Au placard les couleurs, le relief, le format Cinemascope et le son, faisons place à un film venu d'avant 1928.
Ce film tient sur un pari, oui, mais un pari risqué, non. La frontière laissée entre 2011 et 1928 semble encore plus mince que celle qui sépare le muet du sonore dans ce film. Aucune rupture ne se produit, et ces temps anciens du cinéma ne sont tenus à distance que par de légers effets formels. Il est difficile de ne pas regretter que la nostalgie ait eu à ce point la mainmise sur la conception de ce film. En résulte un manque énorme de subtilité quant à l'adéquation entre fond et forme, c'est un vieux film fait comme un vieux film: il aurait pu être fait en 1930 pour ce qui est de ses effets.
Ce qui nous amène au fond, soit un rembourrage plaisant mais lassant de cinéphilie, l'accumulation de clins d'oeil au spectateur nostalgique d'une époque qu'il n'a pas connue finit par ne plus camoufler la maigreur du scénario. Tout comme le cinéma stéréoscopique tente d'apprivoiser ses nouveaux moyens techniques pour donner un autre visage au cinéma, tout comme le faisait The Jazz Singer avec l'enregistrement sonore, Hazanavicius partait d'une bonne base mais semble n'avoir pas osé prendre un risque. Le résultat est un film muet - ou presque - fort plaisant à regarder mais qui cherche incessamment à retrouver l'essence de ce qu'il chérit tant. A l'image du personnage de Jean Dujardin qui s'accroche désespérément à sa bobine de film tandis que le reste brûle, le réalisateur a été guidé par une nostalgie omniprésente, étouffante presque.
Mais justement, il y a des choses à sauver dans ce film, et plus d'une. The Artist fait figure d'envers du décor de Chantons sous la pluie, classique éternel dans lequel l'adéquation fond/forme n'était pas autant revendiquée. Ces deux films ont également en commun d'être sortis bien après le contexte représenté, même si le film qui retient ici notre attention en est bien plus nettement coupé.
Mis au côtés de films de Chaplin ou d'autres grands réalisateurs de l'époque muette, The Artist fait bien pâle figure mais les quelques trouvailles qui lui permettent de côtoyer l'expérimental réussissent à le sauver. Le jeu d'acteur est pour sa part irréprochable, et ce du rôle principal au plus petit, une performance qu'il ne faut pas manquer de souligner.
Objet cinématographique unique - du moins pour une telle production - The Artist est destiné à être extrêmement grand public, et cela se ressent par la complaisance nostalgique et le manque de réelle prise de risque artistique: rien n'est susceptible de froisser l'audience, car tout est du déjà-vu. Ce film, recontextualisé, a au final le mérite de se poser comme un appel à un retour vers l'image et elle seule. Il est juste dommage qu'il ait utilisé de vieilles recettes pour le faire, car l'appel au renouveau s'enlise en partie dans cet aspect ancien bien trop assumé et revendiqué.