Les attentes étaient énormes, à la démesure du projet même. 2012 s’annonçait comme une année charnière pour les fanboys du monde entier, avec l’apogée des différentes franchises de Marvel Studios, soit The Avengers, et la conclusion des aventures de Bruce Wayne vues par le Britannique Christopher Nolan. Si The Avengers s’est hissé sans peine en tête du box-office international et a battu des records de recettes pour son premier week-end d’exploitation aux Etats-Unis, The Dark Knight Rises avait pour lui bien des promesses. Tout d’abord, il s’agit de la suite de The Dark Knight, blockbuster noir, réfléchi et maîtrisé, qui mettait au premier plan deux personnages bien connus de la mythologie du Chevalier Noir : Harvey Dent (Aaron Eckhart) et surtout le Joker (Heath Ledger), dont l’interprétation inspirée a captivé le public et les imaginations. Mais la mort d’Heath Ledger est venu jeter une ombre sur les intentions des frères Nolan (Christopher et Jonathan) et leur complice scénariste, David Goyer : comment surpasser en thématique et en puissance les frasques du Joker et le destin tragique d’Harvey Dent ?

Des premiers éléments de réponse ont été fournies par les bandes-annonces, et la promesse d’une heure filmée en IMAX 70 mm, après que les quelques scènes-clé de Dark Knight en IMAX aint convaincu Christopher Nolan de l’utilité du format. Le réalisateur a été chercher de l’inspiration du côté de Bane (Tom Hardy), brute physique implacable ne pouvant respirer qu’à travers un masque. Un autre ajout à la distribution a intrigué et réjoui les fans : Anne Hathaway incarne Selina Kyle, nom civil de Catwoman, et surtout personnage à double tranchant qui peut être l’alliée ou l’ennemie de Batman suivant les histoires. Pour le reste, motus et bouche cousue, à ceci près que paparazzis et fans ont traqué l’équipe de tournage afin d’essayer de reconstituer l’histoire, et donc la conclusion de Dark Knight Rises. Avec une telle avidité de l’opinion publique et un tel besoin de spéculation et d’indices, comment Nolan allait-il pouvoir ménager l’effet de surprise jusqu’à l’arrivée du film sur les écrans américains vendredi dernier ?

Vous n’avez encore rien vu…

Simple : en appliquant la méthode testée pour Inception. Les images et montages des bandes-annonces du film étaient habilement montées dans le désordre, taisant des éléments-clé de l’intrigue. De fait, The Dark Knight Rises ressemble à un assemblage d’éléments que l’on a vu et revu sur la Toile, voire disséqué et analysé, mais dont la chronologie et l’irruption arrivent à surprendre. La maîtrise des rebondissements dans un environnement aussi propice aux fuites en tout genre est le véritable tour de force du film, et procure de la fraîcheur. Malheureusement, c’est aussi un de ses plus gros défauts.

Même si chaque film de Christopher Nolan, ses deux précédents Batman inclus, possède sa propre identité, ses propres thématiques et rythmes, on sait à quel point Nolan est adepte des tours de passe-passe, et des diversions pour mieux proposer le clou du spectacle. La vision de Dark Knight Rises n’a aucun mal à garder les sens en alerte, mais pourtant les tournants majeurs de la dernière partie du film rappellent la fameuse réplique d’ouverture du Prestige : Are you watching closely ? Le film dépasse donc la ligne jaune des ressorts futés de l’intrigue pour donner l’impression d’une vaste roublardise.

Une Bat-exposition aveuglante

Au-delà du souffle épique donné par le format IMAX aux plans de Bane, il y a également l’empilement d’intrigues et de nouveaux personnages. Là où le début de Batman Begins prenait le parti de montrer la quête spirituelle d’un Bruce Wayne en l’agrémentant de flashbacks ajoutant au dynamisme, Dark Knight Rises jongle avec plusieurs enjeux. Les frères Nolan se proposent de nous présenter la nouvelle menace qui plane sur Gotham, à savoir Bane, en nous donnant assez d’indices alléchants pour que l’on s’interroge sur la nature et les raisons de ses plans ; mais il faut aussi revenir sur les conséquences de la mort d’Harvey Dent, du subterfuge inventé pour préserver sa réputation, et également sur l’exil de Batman et ce que cela signifie pour Bruce Wayne (Christian Bale). Sans oublier de présenter Selina Kyle, Miranda Tate (Marion Cotillard), actionnaire intéressée de Wayne Enterprises, et John Blake (Joseph Gordon-Levitt), jeune policier de Gotham que le commissaire Gordon (Gary Oldman) prend sous son aile. De fait, la première heure du film est remplie à ras-bord d’exposition, au point d’en être troublante.

Troublant, également : le fait qu’un seul arc, celui de John Blake, arrive à être complété de manière satisfaisante et claire. Nolan avait clairement pour ambition de réconcilier les grandes idées et le spectacle grandeur nature de Dark Knight avec l’exploration du personnage et des principes de Bruce Wayne amorcée dans Batman Begins. Il n’y parvient qu’à moitié : même si l’interprétation habitée de Christian Bale élève le parcours semé d’embûches de Batman à travers tout le film, sa fin pèche par son manque de finalité, et pour tout le ramdam monté autour du côté inédit de conclure une franchise de super-héros d’un point final, on ne peut pas dire que les frères Nolan ont véritablement fermé les portes de leur Gotham.

Une chauve-souris qui survole ses thèmes

L’autre défaut du film est sans conteste la grandiloquence de son propos, qui sonne creux. Les thèmes de The Dark Knight étaient traités de front, sans fioriture : le nihilisme d’une certaine forme de justice, la réaction face à un terrorisme aveugle, le sacrifice de ses idéaux… Tout était pensé et servi par une distribution aux petits oignons. Même si les idées qu’amènent le personnage de Bane ne constituent pas une redite du Joker, comme on aurait pu le craindre, son mélange avec l’actualité sociale et économique récente reste vague et racoleuse. Jamais dans un film de Nolan les moments-clés de The Dark Knight Rises n’avaient autant évoqué, en mal, une autre grande franchise d’action : les James Bond. Las, la composition d’Anne Hathaway en Selina Kyle ne surpassera pas celle de Michelle Pfeiffer, et elle en est réduite qu’à une simple James Bond-girl de Bruce Wayne, certes plus flexible et avec plus de dialogues. Les frères Nolan semblent avoir toutes les peines du monde à l’intégrer à l’action du film, un comble pour un personnage aussi iconique de la mythologie Batman.

Ces défauts semblent malheureusement effacer les immenses qualités du film, à commencer par l’exécution des scènes d’action, qui prennent toute la mesure de la géographie de Gotham, de son stade à son lac en passant par ses ruelles. Tout le film se passe loin de la Bat-cave ou des gadgets de Lucius Fox (Morgan Freeman) et ça se voit. Le flair visuel de Christopher Nolan allié à la photographie de Wally Pfister sont la véritable attraction du film. De même, malgré un amoncellement de personnages, Nolan arrive à donner des morceaux de bravoure aux seniors de sa distribution : le commissaire Gordon de Gary Oldman ne perd rien de sa lucidité et de sa poigne, et le Alfred de Michael Caine porte sur ses épaules la première partie du film. La présence du majordome du Wayne Manor donne du cachet et de la teneur, même si là encore, on reste sur notre faim.

Le reboot : difficile mais pas impossible

Si certains films pèchent par manque d’ambition, The Dark Knight Rises pèche par un trop-plein d’ambition. Si la surenchère de Nolan dans ses scènes d’action et l’utilisation d’une très grande ampleur du format IMAX, permise par son statut et le budget alloué par Warner Brothers justifient le prix de la place, le scénario reste énormément décousu et retombe comme un soufflé dans sa dernière partie. Si on ne peut pas aller jusqu’à dire que ce troisième volet est une conclusion indigne à la trilogie, on ne peut que rester perplexe quant aux choix qui sont faits dans sa conclusion. Là où le magicien Nolan émerveillait sans cesse par ses tours de passe-passe, il finit par agacer son public dans The Dark Knight Rises.

Alors, qu’en reste-t-il ? L’interprétation impeccable de la majeure partie de la distribution, Christian Bale et Tom Hardy en tête, suivis de près par Joseph Gordon-Levitt et Michael Caine. Anne Hathaway et Marion Cotillard sont les maillons faibles du film, non pas à cause de leur interprétation mais à cause de la place qui est la leur dans l’échiquier Batman. Si The Dark Knight Rises risque de marquer l’apogée commerciale de la carrière de Christopher Nolan, elle ne ternit pas sa carrière du côté artistique. Ce qui est, de loin, la meilleure nouvelle du film. L’autre bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas impossible, en considérant la trilogie entière, de donner une interprétation encore meilleure de l’univers de Batman et des freaks de Gotham City. Mais pour cela, il faudra au moins une vision aussi claire et tranchée que celle de Nolan, et ça, c’est loin d’être gagné.
Cinextreme
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le 25 juil. 2012

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le 25 juil. 2012

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