The Dark Knight Rises. Avant d’aller plus loin, arrêtons-nous au titre, déjà. Il est facile d’entendre « The Dark Night Rises ». Mais The Dark Knight rises, et s’il se soulève c’est alors contre la nuit. Celle qui est entendue sans être nommée. Batman, un héros solaire, il fallait le faire ! Tout le projet de Nolan semble vouloir dénoncer la vanité de son personnage. Après avoir renvoyé dos-à-dos héros et vilain dans la nécessité réciproque de leur existence, Nolan nous montre Bruce Wayne en homme désœuvré, rejeté en dehors de la vie par la perte de tout mobile dont le handicap est la figure.
Si Nolan est passé maître dans l’art subtil du blockbuster, c’est encore parce qu’il excelle à doubler les niveaux de lecture, et la double identité d’un justicier masqué lui permet facilement de tenir les deux lignes d’un propos qui, se lisant d’abord dans le premier degré d’une psychologie classique, se révèle symbolique. En effet, la tragédie de Bruce Wayne qui a perdu l’être qu’il aimait, n’empêche pas de voir dans la disparition de Batman la perte d’une raison de vivre qui est l’ennemi. C’est l’apparition d’une menace qui va replonger Batman dans l’action, l’apparition d’une femme qui va ramener Bruce à la vie.
Le film est alors une longue progression de l’ombre vers la lumière et en parallèle se noue la recomposition d’une identité fragmentée. La défaite qui solde la première confrontation de Batman à Bane, permet à Bruce Wayne de prendre la mesure du mensonge dans lequel il s’était enfermé et de révéler sa nature. L’ombre de laquelle Bruce Wayne se réclamait était une usurpation et il lui aura fallu voir en quoi celle-ci consistait pour qu’il s’en détourne et chemine alors en pleine lumière. Bane est le vrai produit de l’ombre. Nolan jette alors sur son héros un regard dont l’ironie ne se dissimule plus. On avait feint d’oublier que Bruce Wayne, malheureux orphelin, était avant tout un milliardaire. Et l’ombre dont il se réclamait n’était que la projection de ses petites angoisses que le fantasme Batman lui permettait de surmonter. Nolan offre donc à son personnage la possibilité d’une rédemption qui est aussi une manière pour lui de s’en débarrasser. Comment finir ? Toute œuvre contient en elle les racines de sa fin. Et la tombée des masques, qu’elle soit la révélation d’une identité ou d’un mobile, qui solde The Dark Knight Rises est la manière pour Bruce Wayne comme pour Nolan d’en finir avec Batman. Wayne admettant enfin sa véritable nature, la lumière, Batman accueille son destin et accepte enfin de disparaître où il s’était révélé, dans le firmament d’un matin clair.

Il faut revenir, avant d’en finir, à Bane. L’ennemi dans la trilogie de Nolan est systématiquement l’expression cauchemardesque d’une inquiétude sociale et politique. Le mal que finit par combattre Batman n’est plus la mafia mais un ennemi qu’elle et lui ont en commun. Le grand paradoxe est que le combat de Batman pour l’ordre dans la cité se double de la volonté d’expression d’un mal immanent que Bruce Wayne s’acharne à occulter tandis que son avatar en élimine les occurrences, qui ne s’avèrent jamais que contingentes. Puisque Batman est à la fois Wayne, comment le mal que la trilogie ne cesse de désigner comme la finance, peut-il être éradiqué par le justicier qui est aussi l’homme d’affaire ? Voilà la grande vanité politique de ce héros bancal et que dénonce Nolan. C’est cette contradiction, enfin révélée qui est le second mobile de la fin. Pour autant, nous aurons entendu le cri des misérables et la folie des ennemis n’est que le pendant jusqu’au-boutiste d’une colère qui réclame justice et que Batman se voit incapable de délivrer. Il y a sans cesse dans la trilogie de Nolan une exaltation anarchiste et la volonté d’une marge d’occuper une place qu’elle finit grâce à Bane par obtenir. Ce qui, en nous, prend fait et cause pour les policiers dans le combat qui les oppose aux insurgés, c’est d’abord notre inquiétude bourgeoise devant le désordre et qui est exactement celle de Wayne. La justice que cherche à instaurer Batman est nécessairement précaire et s’avère alors moins l’établissement d’une quelconque équité que le maintien d’un ordre.

L’ennemi dans la trilogie Nolan est l’opérateur qui permet de nouer une problématique politique à la symbolique propre à Batman. L’ennemi est toujours un fou par lequel s’expriment les maux du monde et dont la démesure de l’action interdit l’adhésion et réclame d’être combattue. Autrement dit, celui-ci permet tout en exposant le désarroi du grand nombre, d’opposer à Bruce Wayne un problème d’ordre intime, que ce soit la mort de ses parents, la perte de son amour ou le péril identitaire.
C’est ainsi que jouant des deux niveaux de lecture Nolan mêle avec talent les deux fils d’un propos qui lui permettent de composer une œuvre sérieuse et cohérente, ceci malgré toutes les incohérences superficielles qu’on a pu relever ici et là, et qui sont imputables au format dont le cahier des charges justifie à lui seul l’imperfection de ce qu’il produit. Il y a un certain nombre d’aspects outre lesquels il est nécessaire de passer pour découvrir derrière le blockbuster, l’auteur.
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le 16 sept. 2012

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le 16 sept. 2012

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