Heath Ledger n'est pas un Dieu. Pour autant que j'aie aimé son Joker dans The Dark Knight, je refuse de le sacraliser, et encore plus de croire qu'il était impossible de faire mieux avec le méchant de ce troisième opus. La fanbase était prise d'une hystérie schizophrène, dans l'attente, à la fois convaincue que Rises allait être immense et que Bane serait ridicule à côté du Joker - pourtant, j'en ressort avec le sentiment d'un Rises inférieur à TDK et même d'un Bane pas si loin de faire jeu égal avec le personnage de Ledger.
Seulement voilà, comme si Nolan avait écouté ladite fanbase et s'était essentiellement appliqué à ne pas décevoir avec son nouveau grand méchant, Tom Hardy se retrouve bien seul pour porter le poids d'un tel film, et une bonne partie du reste déçoit.
La première scène, censée reproduire* le grandiose numéro de voltige de celle de TDK, passe comme un éternuement raté - on sent monter, monter la tension et l'épique, puis ça n'arrive pas vraiment. Et l'on enchaîne sur un film à l'écriture confuse. Privé de l'étincelle de génie qui permettait au scénario fleuve de TDK d'éblouir constamment, Rises peine à supporter son propre poids, à maîtriser sa narration. Le premier tiers est trop lourd en exposition, en explications laborieuses, le deuxième manque cruellement de résonance thématique, le troisième succombe à un simplisme qu'on ne connaissait pas à Nolan.
Pour la magie explicative de TDK, il suffit de comparer les deux scènes d'intro : devant la précision de la première, les yeux et le cerveau sont éblouis ; devant la deuxième, on est bêtement en train de se poser des questions, d'attendre.
Concernant les thématiques, même opposition : l'ambiguïté de TDK (Nolan insaisissable entre l'obsession sécuritaire des autorités de Gotham et les théories anar' du Joker) devient un fond vague dans Rises (les Indignés de Wall Street, il adhère ou caricature ?). Exit la géniale antisymétrie de Harvey Two Face, on a à la place une réflexion en carton, dans la prison de la League of Shadows, sur, sur... sur quoi d'ailleurs ? Vaseux. Quant à la Condition du Héros, aucune idée vraiment neuve depuis TDK.
Idem pour la fin grise de TDK (en dehors d'un pas de travers avec le dénouement de l'expérience des deux ferries) contre celle, binaire, de Rises.
Il reste tout de même quelques bons éléments (outre la réalisation, rarement dégueulasse, de Nolan) pour sauver Rises de la médiocrité. Même si le rôle du brave flic est un peu neuneu, Gordon-Levitt s'inscrit dans un casting globalement excellent (Caine, Freeman, Hardy, etc.), et la révélation finale sur son personnage est superbe. Bonne surprise : Anne Hathaway se débrouille très bien, parfaitement féline. Et la société des Indignés aurait mérité plus de place à l'écran, à voir le superbe tribunal Brazil-esque présidé par Cillian Murphy.
Pour la deuxième fois consécutive après Inception, Nolan me déçoit avec un blockbuster inspiré mais qui passe juste à côté du grandiose. Peut-être un retour à du cinéma plus personnel serait-il de mise ?
* Je n'ai pas encore vu Batman Begins, peut-être la scène d'intro est-elle aussi du même style.