L'histoire est sensiblement la même que lors des deux premiers épisodes : un méchant, aliéné mais charismatique, tente de détruire Gotham à la fois matériellement et spirituellement en libérant les bas instincts de la populace, dans le but de démontrer la corruption de l’Occident et la vanité de ses lois. Pour mener à bien ce programme, Christopher Nolan emprunte aux grandes franchises d’action leur logique ascensionnelle : toujours plus haut, toujours plus fort, toujours plus méchant (Die Hard > Die Harder > Die Hardest > Deadlier Hard-Dying Die Hard, etc.). Après que Ras Al Ghûl, ninja maléfique, a organisé l’empoisonnement massif de la population aux hallucinogènes dans Begins, après que le Joker, nihiliste old school, a utilisé le chantage affectif et l’attentat à la dynamite pour pousser des milliers de personnes au meurtre, Bane doit donc faire encore pire. Dans l’arsenal du parfait scélérat mégalomane, il choisit la dictature militaire et l’arme atomique - ALL IN !, après tout, c’est le dernier épisode, personne n’aura besoin, plus tard, de surenchérir.

Malgré l’ampleur apocalyptique des embuches dont il pave le chemin de Bruce Wayne, Christopher Nolan ne parvient jamais à dépasser le 2e épisode de la série. Et pour cause, le Joker était un bien meilleur méchant. Il apportait à la figure scénaristique du plan diabolique, pile atomique du cinéma de Nolan, quelque chose de nouveau : une joie torve, une drôlerie rafraîchissante, une gratuité enfantine presque légère qui fournissait à l’histoire un moteur plus puissant, plus sauvage et plus imprévisible. Il contrebalançait un peu le très lourd esprit de sérieux du cador des plot twists, mettait un peu d'air dans un cinéma toujours très étouffant. Le Joker incarnait par ailleurs la perfection de la créature nolanienne : une mécanique mentale de précision au service d’une stratégie complexe, possédée par un but facile à catégoriser philosophiquement (ici, le désordre). On avait pris bien soin de ne pas tuer le personnage à la fin du film précédent, laissant entrevoir la répétition de l’éternel combat de Batman, celui de l’ordre contre le chaos. Mais la disparition prématurée d’Heath Ledger a laissé Nolan orphelin de sa muse. Nostalgique et handicapé par cette absence, il dégaine une nouvelle fois sa Batcaméra pour affronter un nouveau génie terroriste, Bane. Plus gros, moins drôle mais plus fiable : Bane est un peu le bon gars solide mais un peu chiant sur qui on mise pour se remettre d'une rupture douloureuse. Pas franchement séduit, Nolan déroule sans enthousiasme le programme attendu, qui conjugue beauté formelle, déprime, mort, explosions, et philosophie niveau bac, option réactionnaire : les dangers de la science (sans conscience...) ; Révolution et totalitarisme : la dérive du peuple livré à lui-même ; Loi et liberté : mais où va-t-on ?

Dark Knight Rises est l’oeuvre d’un réalisateur pris au piège de son système, cloîtré dans son labyrinthe, l’emblème qu’il a choisi pour Syncopy, sa société de production, et qui résume parfaitement son cinéma tortueux. Ainsi paumé, Nolan se met à commettre des fautes de goût d’autant plus surprenantes que l’élégance de forme est, avec la complexité, la distinction revendiquée de son style. Les rebondissements finaux sont horriblement téléphonés, et d’un banal soporifique. Le personnage de Marion Cotillard, pourtant important, traverse le film sans prendre corps, transparent, mou et vide comme un pantin de scénariste - destin désarticulé qu’une fin presque incroyable de grotesque viendra confirmer physiquement.

TDKR est peut-être l’oeuvre la plus faible de l’un des cinéastes les plus surfaits de sa génération, ce qui ne l’empêchera pas d’être l’un des plus gigantesques succès commerciaux de l’histoire (déjà dans le top 50 après trois semaines d’exploitation). Il n’y a décidément pas grand chose à attendre du cinéma de Nolan, en pleine asphyxie, bouffi de sérieux et narcissique, obsédé par l'idée que quelqu'un, quelque part, puisse ne pas voir son génie.
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le 10 août 2012

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