Nolan a commencé sa carrière comme monteur. Difficile de comprendre alors pourquoi il filme ses actions toujours trop près ou trop loin, pourquoi quasiment aucun plan ne raccorde, pourquoi ses combats se résument à des gros plans avec le corps du gentil et les bras du méchant (ou inversement). En fait, l’une des grandes qualités de Nolan, c’est sa compétence d’assembleur. En effet il est assez surprenant de remarquer que globalement ses films sont assez mal montés mais que Nolan a un réel savoir faire en matière d’agencement de bloc narratifs. Le temps du récit est quelque chose de très réussi en général dans ses films. Pas dans celui-ci.

Commençons par le positif :

Christopher Nolan a un sens de ce qui va claquer tout en esquivant les poncifs du gros blockbuster : la musique par exemple est un poil relou mais dans la première partie du film pas trop mal utilisée et chargée de petits détails fourmillants, comme hantée par le fantôme de Liam Neeson).
De très belles idées sur la photo aussi : combat sous le soleil avec flocons de neige ; Batman surgissant d’une grotte, le teint blafard sous les stroboscopes d’une mitraillette.

La grande force de la nouvelle trilogie Batman, c’est son design et sa direction artistique. Mot d’ordre : Crédibilité ! En effet ça marche, à toujours vouloir justifier les équipements, la vraisemblance de l’action, Nolan a su créer un univers cohérent et pertinent (on se souvient de Batman réclamant un costume avec plus d’articulations pour certains mouvements, un revêtement contre les chiens…) et ici cela donne des petites choses sympa comme le design de Bane, son style de combat tout en brutalité ; mais aussi la genouillère de Batman pour compenser la vieillesse du corps.
J’ai même enfin compris pourquoi Batman avait la voix la plus ridicule de l’Histoire du Cinéma : en fait il change sa voix pour en pas qu’on le reconnaisse ! C’est complémentaire du masque qui écrase un peu le visage pour rendre Bruce Wayne totalement non reconnaissable. Bonne idée sur le papier mais en vrai ça marche moyen (en tout cas j’ai mis 3 films à piger).

Côté mise en scène, là aussi on a quelques petits trucs à se mettre sous la dent ; la mort de Bane par exemple : Bane qui disparait d'un simple coup de feu vers le fond du cadre. Décadré.
On va aussi reconnaître quelques points de montage intéressants :
à la fin, une voiture avec la méchante et son chauffeur quitte le champ de bataille. Un flic lâche (le faux pote de Gordon) qui venait tout juste de retrouver sa rédemption dans le film avec son petit chapeau à visière est sur le bord de la route. Caméra dans la voiture, la femme demande à ce que le mitrailleur « les tue tous », dans le même plan, le son de la mitraille commence hors champ. 1 seconde puis raccord avec un panotage de la caméra vers le bas et le corps du flic.Ca n’a l’air de rien comme ça mais concrètement il y a dans ce raccord :
- Une ellipse habile dans le temps (la mitraille aurait duré environ 5 secondes, ici les premières balles suffisent) et dans l’image (un corps au sol pour une dizaine de corps s’effondrant).
- Un raccord mouvement intéressant entre un travelling latéral et un pano pas tout à fait vertical
- Un dernier hommage rapide et tout en pudeur au milieu de l’action pour un personnage secondaire qui jusqu’ici n’avait pas été très soigné par le final cut.

La caméra embarquée est une figure que Nolan utilise pas mal dans ses Batman, elle avait fait une des forces du teaser du Dark Knight (Le Joker visage au vent, par la fenêtre d’une bagnole de flics). Ici on l’a au départ avec le classique de la cam embarquée sur le câble (av gros plan gros balèze) alors que le décor autour (en l’occurrence un jet privé) s’enfonce dans la profondeur du plan. Puis ce plan avec Catwoman et sa proie sur une nacelle de laveur de carreaux (plan qui malheureusement subit les inconséquences du montage raté à la Nolan : pas de raccord avec le plan précédent, ellipse toute pourrie et faux raccord monstrueux avec inversion des personnages dans le plan suivant au milieu de la ruelle). Enfin, plan cette fois parfaitement réussi avec Morgan Freeman (qui donne parfois l’air de jouer dans une pub Nespresso) et Marion Cotillard dans le petit atelier qui se transforme en monte charge vers les profondeurs de Gotham et de son cœur nucléaire. Cette caméra embarquée met exactement es personnage dans la position que Nolan souhaite : c’est le Monde qui les fait bouger et non l’inverse, ils subissent la violence et non l’inverse.

La force qu’avait eu Nolan pour son Dark Knight, c’était d’avoir ouvert le monde de Batman qui était confiné dans une boule à neige avec Tim Burton. Non pas qu’il faille dynamiter Burton qui pour le coup avait fait du très bon boulot mais il apportait quelque chose de neuf avec l’explosion de l’univers de Gotham à la finance internationale et au filmage ample d’une matière réelle sale et violent (les ciels du Dark Knight sont impressionnants, tout comme le premier plan du film, en apesanteur avant l’implosion du fond du cadre).

Ca se gâte :

Le nouveau Batman, celui de Nolan, se prend vachement au sérieux. Si le film ouvre ses horizons, il exploite très mal ce qui se découvre. Le super héros, au fil des films traverse une série de rites initiatiques (la mort des parents mais surtout : le dépassement de la peur dans Begins ; la prise de conscience des conséquences de ses actes dans Dark Knight ; la difficulté à conclure, à mourir dans Rises) et de problématiques actuelles telles que la corruption, le financement de la criminalité organisée, le pouvoir des marchés financiers sur la ville de Gotham, l’extrémisme écologique et rien de moins que la question du déterminisme social concernant le personnage de Catwoman dans ce dernier opus.

Vaste programme comme dirait De Gaulle. Le problème c’est qu’une fois le plan annoncé, et bien on est face à une très mauvaise copie de lycéen, le film se contentant d’alterner des séquences de bavardages creux et dont les enjeux n’ont pas de poids (Dilemme ! Alfred va-t-il vraiment partir ?! Damned Oui il part ! Et puis trois plans après on s’en fout pour se rappeler de son existence dans l’épilogue à son retour…) et des scènes d’action franchement pas au top.
Gros problème donc : rien n’est lié, la caméra de Nolan passe d’un personnage à l’autre, d’une réplique à l’autre sans filmer la moindre évolution, le moindre changement. Catwoman est contre l’ordre, c’est filmé très sérieusement pour en faire un enjeu important du film… Et puis hop d’un coup elle décide que l’anarchie c’est pas bien et qu’il serait quand même de bon ton que le peuple retrouve son Leviathan.
Cette absence de réflexion, d’intelligence en marche prend toute son ampleur lorsque l’on voit Batman qui sort tout nu et sans le sou de sa prison en république Caribéenne de Santa Prisca (Métaphore du trou du cul du monde tout autant que de la prison intérieure) pour arriver en un cut dans Gotham City, alors assiégée et réputée inviolable par toutes les forces US réunies… Tout est dit, la caméra est toujours là où il y a un truc à voir, Nolan essaie de rattraper son Gloubi Blouga avec des palabres incompréhensibles. Jolie scène d’introduction par exemple, avec moult idées (l’avions cassé, la cam embarquée sur le filin, la voix de Bane sous le sac de jute rappelant l’épouvantail…) et mélangeant assez habilement le style James Bond et le style Michael Mann… Mais pourtant on n’y comprend pas grand-chose ! Nolan n’arrivant pas à filmer un propos, il fait parler ses personnages très vite pour présenter l’intrigue puis se met à faire une scène d’action.
Cela fait beaucoup de tort à ses personnages qui ne peuvent du coup être que décevants : au lieu d’approfondir un personnage, on nous le présente en le mythifiant pour ensuite ertirer tout ce qui est encombrant pour l’action (Encore une fois, ce Bane présenté à la fois comme une idole à la voix magique et un terroriste à la Carlos ; pour finalement n’en faire qu’un benêt sorti du trou du Gogol / Puy du Fou).
Tout comme ses personnages, Nolan lutte contre ses scènes qui développent les personnages, expédie le temps de réflexion car il y a de l’action à abattre et un film qui est déjà un peu long. Il nous avait bien arnaqué avec son moine qui faisait fumer le calumet de la paix à Batman. « Chemine intérieurement » qu’il disait…

Dans Dark Knight Rises, tout le monde se débat pour pas grand-chose dans un petit bocal fermé. Dans le genre on préférera toujours Burton du coup.
Dlra_Haou
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le 7 sept. 2012

Modifiée

le 7 sept. 2012

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Martin ROMERIO

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