J'ai toujours beaucoup de mal à commencer mes critiques et cette fois-ci, cela me semble encore plus difficile. Par où commencer pour parler du dernier volet de la trilogie Batman de Christopher Nolan ? The Dark Knight Rises possède en effet, comme son prédécesseur, une densité rarement atteinte dans un blockbuster hollywoodien, ce qui est à la fois sa plus grande qualité et son plus gros défaut.

Il est toujours difficile de conclure une saga aussi énorme que celle-ci et l'enjeu pour Nolan était d'autant plus grand que ce dernier volet fait suite à l'excellent The Dark Knight (TDK) Les attentes étaient donc énormes et si on peut lui reprocher quelques petites choses, The Dark Knight Rises (TDKR) reste une magnifique conclusion pour la trilogie. Peu de blockbusters ont su se hisser à un tel niveau et les autres films de super-héros font bien pâle figure face à ce nouveau chef-d'oeuvre de Nolan. Ce dernier volet semble être un mélange des 2 précédents films. On y retrouve à la fois des éléments de Batman Begins et de TDK et ce jusque dans le méchant du film. Bane est une sorte de synthèse entre les deux précédents ennemis de Batman, aussi radical Ra's al Ghul et aussi détraqué que le Joker.

Jamais, à part bien sûr son prédécesseur, un film à gros budget n'a eu un tel scénario. Comme en 2008, le Batman de Nolan décrit parfaitement la société américaine contemporaine, ses peurs et ses doutes. Si l'ombre du 11-septembre (et de la guerre en Irak) planait sur TDK, c'est cette fois la crise économique qui a semble-t-il inspirée les frères Nolan même si TDKR pousse la réflexion beaucoup plus loin. Dans une scène époustouflante, Bane s'attaque à la Bourse, symbole de la crise financière de 2008. C'est la base de son plan qui lui permettra de lancer une soi-disante révolution dans Gotham. Bane donne alors l'impression de vouloir redonner le pouvoir, accaparé par les élites financières et politiques, au peuple. Mais l'homme est un nihiliste et cette position n'est que populisme, elle lui permet seulement de contrôler une ville qu'il a juré de détruire pour venger son mentor. Le film aborde alors des thèmes extrêmement politiques et terriblement actuels, comme les dangers de l'ochlocratie (ce pouvoir de la masse) ou la tentation de l'extrémisme qui semble se réveiller ces dernières années en Occident. Ce n'est donc pas un blockbuster normal auquel nous avons à faire mais à un film qui, sous couvert de divertissement, traite de nombreux sujets.

C'est d'ailleurs le gros défaut du film, Nolan veut en dire trop. Mais dans une production hollywoodienne qui aujourd'hui ne dit plus rien ou presque (on peut citer le not so Amazing Spider-Man de Marc Webb, d'une vacuité sans nom, mais aussi The Avengers, réussi mais gentillet), va-t-on se plaindre d'un film qui veut dire trop de choses ? Pour moi la réponse est non. Alors c'est vrai, il est parfois difficile de suivre Nolan dans son raisonnement. S'il est critique envers un mouvement comme Occupy Wall Street (trop facilement manipulable), il n'est pas tendre non plus avec le gouvernement (qui laisse tout simplement Gotham City se démerder) ou avec l'armée accusée dans le film de trop obéir. Il semble également mettre en garde contre les dangers du démagogisme, incarné par Bane. Dans sa critique des élites, le personnage de Tom Hardy a parfois des faux-airs de Sarah Palin "testostéronée" et pas sûr que le Tea Party apprécie le film. Toutes ces idées mélangées font de TDKR un film légèrement bancal mais lui confère également une grande tristesse. La vision du monde par Chris Nolan est en effet extrêmement pessimiste.

L'autre défaut, lié au 1er, ce sont les raccourcis. En voulant en dire trop, Christopher Nolan est obligé d'utiliser très souvent l'ellipse (par exemple après sa défaite, Bane disparaît totalement de l'histoire et plus personne ne parle du mec qui a pris le contrôle de Gotham pendant plusieurs mois) et son récit perd en cohérence. On pourra aussi lui reprocher, mais c'est vraiment histoire de pinailler, de tomber dans les travers des blockbusters. Car il faut rappeler que TDKR est avant tout un pur film de divertissement et certains éléments peu subtils nous le rappellent. Je pense notamment à l'un des derniers plans où Alfred, persuadé de la mort de Bruce, l'aperçoit en compagnie de Sélina. La scène aurait été parfaite sans cette image. Un simple plan sur le visage du majordome aurait suffi. Mais pour faire comprendre, même au plus débile, que Batman n'est pas mort, Nolan s'est sans doute senti obligé de placer cette image. Heureusement, ces quelques défauts ne sont que des détails face à la force du récit et aux nombreuses qualités du film.

Là où TDKR est peut-être le plus brillant, c'est dans la psychologie de Batman. Chris Nolan a toujours aimé sonder l'esprit de ses personnages. Toute sa filmographie est imprégnée de cela, jusqu'à Inception qui est une sorte d'apothéose dans ce domaine, et TDKR ne fait pas exception. C'est ici que le Rises du titre prend tout son sens. Dans son immense manoir, Bruce Wayne, qui a dû raccrocher la cape, déprime puisqu'il a perdu sa pulsion de mort. La "disparition" de Batman est aussi celle du playboy et ce n'est qu'au moment où il trouve une excuse pour reprendre du service (ce qui lui permet de se relever) que Bruce Wayne semble revenir à la vie.

Mais la psychologie de Batman se définit surtout par ses ennemis. Dans Batman Begins, il a dû affronter son mentor pour trouver sa place. Dans TDK, son nouvel adversaire (le Joker sublimé par Heath Ledger) lui renvoyait sa propre image de monstre et avait réussi à le faire douter en le mettant lui et ses idéaux en échec. Cette fois-ci, Batman semble affronter son opposé. Bane est totalement différent de lui, chose que ne manque pas de rappeler Alfred à Bruce Wayne. Il est issu de l'ombre alors que le milliardaire n'a fait que l'adopter, il est plus en forme, plus déterminé, plus enragé que Batman. Leur premier combat est d'ailleurs aussi spectaculaire que douloureux à voir pour le super-héros qui se fait écraser par son adversaire de manière pathétique. Jeté dans une prison où l'espoir ne semble plus exister, ce n'est qu'en s'abaissant au niveau de son nouvel ennemi ("Je t'ai brisé", lui crie victorieux Bane alors qu'il est en train de perdre) que Batman pourra le vaincre, et se relever une nouvelle fois, dans une scène très similaire à sa première défaite. Il réussira alors enfin à décrocher de Batman pour en faire le symbole dont il a toujours rêvé, un symbole derrière lequel il pourra s'effacer en se sacrifiant pour sauver la ville.

Si Nolan jure n'avoir jamais envisagé de faire de trilogie dès le début, ses films possèdent pourtant une continuité bluffante qui lui a permis d'analyser Bruce Wayne sous toutes ses coutures et de dresser du chevalier noir un portrait que personne au cinéma, pas même Tim Burton, n'avait jamais fait.

Le film a bien d'autres qualités. La réalisation de Christopher Nolan est époustouflante. La première scène, le désossage d'un avion en plein vol (réalisé avec un minimum de trucages numériques), est extrêmement impressionnante et ce n'est pas la seule. TDKR réserve d'autres grands moments qui font de Nolan l'un des meilleurs techniciens du cinéma. Sa volonté de tourner sur pellicule (l'un des derniers à le faire), et en partie en Imax, offre également des images d'une beauté exceptionnelle. Il possède aussi un sens parfait du rythme. En 2h45, on ne s'ennuie pas une minute tant le réalisateur alterne à la perfection scènes d'action et passages plus calmes. Mais un grand réalisateur ne serait rien sans un grand compositeur. Hans Zimmer signe ici l'une de ses meilleures bande-originale avec celle d'Inception. La musique est parfaitement utilisée durant tout le film et les quelques moments où elle disparaît sont peut-être les plus intenses de l'histoire.

Les acteurs sont eux-aussi formidables. On peut reprocher un Christian Bale un jeu parfois limité mais il incarne le meilleur de tous les Batman (oui George désolé, mais tu devais t'en douter). Pour le reste du casting, difficile de passer à côté de la prestation de Michael Caine. Son personnage est assez peu présent dans ce 3ème film mais il n'a jamais été aussi intense. Les deux scènes où Alfred se dispute avec Bruce sont parmi les plus belles et les plus émouvantes et prouvent que Caine est l'un des plus grands acteurs anglais. De son côté, Anne Hathaway est l'une des très bonnes surprises du film. J'appréhendais énormément sa prestation, elle semblait trop gentille, trop douce pour incarner Catwoman mais c'est tout le contraire. Sexy, cynique, mystérieuse, indépendante, elle est parfaite pour ce rôle. Tom Hardy, quant à lui, souffre bien évidemment de la comparaison avec Heath Ledger. Mais une fois habitué à sa voix (déformée par un masque qui le maintient en vie), il est terrifiant dans le rôle de Bane et restera un villain inoubliable. Pour le reste du casting, rien à redire, à une exception près : Marion Cotillard. Je ne serais pas aussi dur que la plupart des gens envers elle, je ne la trouve pas complètement mauvaise, mais il faut avouer qu'elle n'est pas au niveau des autres acteurs et qu'elle ne sait visiblement pas mourir correctement (mais au moins elle meurt, c'est déjà ça).

Pour finir, le plus intéressant, c'est qu'avant d'être un film de super-héros, TDKR est d'abord un film de Christopher Nolan. Le réalisateur semble totalement déconstruire le mythe de Batman, mouvement déjà amorcé dans l'opus précédent. Les fans purs et durs pourront reprocher des tas de choses à la vision de Nolan. Batman, qui apparaît finalement assez peu dans le film, n'est plus ce super-héros qui se déplace dans Gotham la nuit d'immeubles en immeubles. L'histoire se passe essentiellement en plein jour (ce qui n'empêche pas la photographie d'être toujours aussi belle). Bane n'est plus le fruit d'une expérience militaire lui donnant une force surhumaine. Selina Kyle n'est jamais appelée Catwoman. Au fond, il ne reste plus grand-chose du chevalier noir dans ce Dark Knight Rises et si les puristes regretteront cette évolution (qui colle avec la volonté de réalisme que recherche Nolan depuis Begins), je suis personnellement très content de ce choix car jamais un film avec un mec en collant n'a été aussi passionnant, aussi riche et aussi puissant.

Nolan est l'un des rares cinéastes à savoir faire des blockbusters d'auteur. Le concept peut paraître étrange mais c'est celui qui résume le mieux cette trilogie qui vise "le coeur, le cerveau et les tripes" comme le dit si bien Wally Pfister, le directeur de la photographie de Chrsitopher Nolan. Et elle restera sans nul doute, à l'instar du Parrain ou de Star Wars, l'une des plus grandes saga du cinéma américain.
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le 20 sept. 2012

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