Le syndrome de la bombe atomique, "The Dark Knight Rises" de Christopher Nolan (2012)

Pour un Auteur de fiction, vraisemblable ne veut dire ni vrai, ni réaliste, ça signifie plausible dans le contexte du récit, et ce n'est pas une mince différence.


Mais avant d'en arriver là, cultivons un peu notre fétichisme pour les armes de guerre.


Une charge nucléaire est un dispositif explosif utilisé dans le cadre militaire afin de provoquer des dommages irréversibles à tout ce qui se trouve dans son rayon de détonation qui est en général assez grand.


Elle peut-être à fission ou à fusion, on parle alors respectivement de Bombe A (Atomique) et de Bombe H (Hydrogène).


Elle est classée dans les « Armes de destruction massive » ou parmi les « Armes non conventionnelles » selon les termes du Droit international relatifs aux jouets que les États imbéciles ne devraient jamais avoir l'occasion de déployer sur un champ de bataille.


Elle existe en plusieurs parfums, de la classique bombe larguée depuis un avion, aux missiles décollant de silos enterrés dans le sol jusqu'aux rampes de lancement mobiles comme les camions ou les sous-marins.


Une charge nucléaire peut atteindre la puissance théorique de 6 mégatonnes de TNT pour une tonne de bombe (soit 25 térajoules d'énergie par kg).


La plus grosse bombe jamais testée sur terre à dégagé une énergie équivalente à environ 55 mégatonnes de TNT, c'était en 1961 et elle s'appelait Tsar Bomba, comme ma première femme, qui elle, était alcoolique.


Dans un grand nombre de films américains produits dans les années 70 et 80 l'arme nucléaire était utilisée comme un élément scénaristique majeur: c'était LA grande menace, la fin du monde, l'hiver nucléaire, le jugement dernier, les carottes cuites etc.


Parce qu'à la clef d'une explosion, il y avait d'autres explosions, il y avait la guerre thermonucléaire globale entre les USA et l'URSS (ou la Chine plus rarement) et l'extinction de la race humaine en guise de cerise sur le tas de cendres.


Voilà comment se présente la signature de Tsar Bomba selon wikipédia:



«Au point zéro, tout était effacé, le sol avait été nivelé et faisait penser à une «patinoire». Des maisons de bois furent détruites à des centaines de kilomètres, d’autres perdirent leur toit. La chaleur fut ressentie à 300km. La Tsar Bomba pouvait infliger des brûlures au troisième degré à plus de 100km de distance, alors que la zone de destruction complète se situait dans un rayon de 25km, et la zone de dommages importants à un rayon de 35km.»



Cette petite coquine soviétique ne peut cependant pas être tenue pour responsable de l'enfance désastreuse de Michael Bay puisqu'il ne naîtra que 4 années après son explosion.


Le fait est que pendant la guerre froide, une explosion liée à une charge nucléaire était une menace plausible, et voir cette menace transposée au cinéma n'était donc pas spécialement surprenant sur le plan scénaristique, en tout cas pas au point de rompre la suspension consentie de l'incrédulité chez le spectateur moyen (et je ne m'exclue pas de ce groupe).


Pensez à « Terminator » de James Cameron, pensez à « WarGames » de John Badham, pensez à « À la poursuite d'Octobre Rouge » de John Mac Tiernan, des films très différents mais avec une lecture commune de l'identité de la menace globale.


Aujourd'hui les missiles embarquent non pas une, mais plusieurs charges (ou «têtes») qui bien qu'elles soient d'une puissance nettement inférieure, sont capables d'un potentiel de destruction beaucoup plus grand… parce qu'elles sont plusieurs et qu'en se séparant elles couvrent un rayon de détonation très supérieur.


Il semblerait que les scénaristes Hollywoodiens des années 2000 et postérieures soient assez nostalgiques de la guerre froide si on juge de ce que j'appellerais à partir d'ici le Syndrome de la Bombe Atomique (ou SBA pour faire court).


L'idée est logique et formulée comme ceci :


Si au cours du climax du dernier acte d'un film américain produit après 1989, le ou les protagonistes doivent empêcher l'explosion d'une charge nucléaire, alors ce même film possède un problème dramaturgique majeur le disqualifiant pour toute forme de plausibilité auprès de l'audience.


Autrement dit on a 99 % de chances d'avoir affaire à un film très mal écrit, ce que, en recourant au vocable adapté, l'on pourrait définir précisément comme étant une grosse merde fumante.


Mais pourquoi exactement ?


Très simple mon capitaine : c'est la faute à la dramaturgie.


Il existe une règle, plus ou moins explicitement formulée, mais assez communément admise par le petit monde des scénaristes et par les spectateurs, qui stipule que pour tout obstacle devant se dresser face à un personnage de fiction, provoquant ainsi une relation conflictuelle, la menace doit être adaptée aux capacités de réponse du protagoniste.


Le personnage principal doit donc être capable, éventuellement en se surpassant par ses actions, de résoudre le problème à la fin du film, c'est le schéma classique d'un blockbuster Hollywoodien.


Sans en faire des tonnes et en incorporant tout de même un tant soit peu d'originalité dans les histoires qu'on nous raconte, le bon sens dicte souvent ce qui est plausible et ce qui ne l'est pas en respectant une certaine forme de proportionnalité et de cohérence avec l'univers de l’œuvre.


Comme nous l'avons déjà fait remarquer, vraisemblable ne veut dire ni vrai, ni réaliste, mais plausible dans le contexte du récit, et cette différence peut faire sortir un film de ses rails pour l'emmener directement au pays du navet.


Par exemple : Une bombe atomique est plausible dans un sous-marin russe pendant la guerre froide (À la poursuite d'Octobre Rouge), mais plus difficilement dans les égouts de Gotham City (Dark Knight Rises)… la simple présence de cet élément scénaristique semble être un authentique aveu d'impuissance créative.


En effet, à vouloir à tout prix augmenter les enjeux pour les hisser jusqu'à l'impossible, le scénario de blockbuster -domaine rêvé pour ce genre de concours de bistouquette- se heurte à un plafond de verre.


Les personnages de super-héros sont certes capables de beaucoup, mais le contexte qui leur est associé dans l'esprit collectif du public est restreint à certains types d'actions spectaculaires prenant place dans des contextes spécifiques qui soulignent en retour les traits de caractère du héros.


Et ce qui est vrai pour eux l'est également pour des personnages plus ordinaires.


Le héros (Protagoniste), le vilain (Antagoniste) et le lieu de la confrontation (Arène) sont des continuités qui s'illustrent mutuellement.


Ce lien est rapidement brisé si l'auteur chargé de rédiger une nouvelle mouture des aventures d'un personnage déjà connu se voie contraint à une originalité factice sous la pression des exécutifs ayant pour mission de garantir la rentabilité de l'investissement fournit par les commanditaires de l’œuvre.


(Notez à quel point cette dernière conjecture est optimiste et bienveillante envers les auteurs, je ne mentionne même pas le cas de figure dans lequel l'artiste lui-même se contraint à pondre un gros caca et se roule dedans par pure mégalomanie).


Qu'apprend-t-on sur Batman lorsqu'il essaie d'empêcher une explosion atomique ?


A priori rien qui ne soit en rapport ni avec sa maîtrise martiale parfaite acquise dans les steppes asiatiques, ni avec son sens dévoyé de la justice, ni avec le traumatisme causé par la mort brutale de ses parents, ni avec son identité secrète de milliardaire désœuvré…


...rien qui soit vraiment Batman en fait.


Cette séquence le transforme en archétype du héros-altruiste-générique-se-sacrifiant-pour-sauver-les-siens et le dénature dans sa structure profonde (qui lorgne vers la mythologie dans le cas précis de Batman).


Cette bombe atomique -et ceci en dehors de toute conjecture scientifique réaliste sur la possibilité de son existence et de son éventuelle explosion- n'a strictement rien à foutre ici.


Batman n'a de sens qu'à partir du moment où il se mesure à des ennemis qui lui ressemblent : masqués, au-delà des lois, dissociatifs en termes de personnalités et préférant le combat au corps à corps (même si certains utilisent des proxys ou des armes à feu pour cette dernière partie).


Si ce petit schéma n'est pas respecté, on sort du domaine du vraisemblable, le spectateur décroche du film et la seule option restante au scénariste pour permettre à ses personnages d'aboutir à quelque chose qui ressemble à une résolution dramatique est alors un Deus Ex-Machina.


C'est à dire dit une pirouette artificielle qui permet de conclure, mais par laquelle on se fiche quand même un tout petit peu de la gueule du public.


Et devinez quoi, c'est exactement ce qui arrive dans ce film et c'est précisément pour ça qu'il est très mauvais.


Parce que toute sa dramaturgie est du même acabit.


Au fait est-ce que je vous ai parlé d'Indiana Jones et de son frigo anti-atomique ?

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le 1 juin 2015

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