Comme un palindrome merveilleux, The fall s’ouvre et s’achève sur la magnifique 7e Symphonie (opus 92, Allegretto) de Beethoven, entendue à la fin d’Irréversible ; le générique d’introduction, tout en ralentis et noir et blanc somptueux, est déjà un choc visuel en soi, un "chaos sans énergie" tel que l’a souhaité Tarsem Singh. The fall peut être considéré comme l’œuvre jumelle et complémentaire de The cell, mais du côté de la lumière, du conte pour enfants (le film commence par "Once upon a time"), The cell explorant davantage les ténèbres fantasmatiques du film de serial killer. Mais qu’importe la nature de l’histoire ; au cœur des deux films, l’imaginaire aide à sublimer physiquement une réalité douloureuse, brisée, tandis que, fondamentalement, les troubles, les événements et les souvenirs y sont identiques, s’y dévoilent et s’y retrouvent en correspondances psychologiques.

Le film mélange Greenaway à La science des rêves, Gilliam à Baraka (la scène de transe des Indiens, celle des derviches tourneurs…), Dalí à Usual suspects (où mille et un détails du présent, des plus infimes aux plus évidents, servent à élaborer instantanément une autre matérialité), tout en parvenant à créer, à imposer un style caractéristique original, et à surpasser ses nombreuses références picturales. Singh possède un sens des couleurs, du cadre et de la composition absolument étourdissant (certaines transitions, d’une scène à l’autre, sont remarquables), et parvient à esquiver l’emphase qu’un tel projet laissait supposer. La talentueuse designer Eiko Ishioka a, une nouvelle fois, réalisé les costumes du film, d’une beauté et d’une richesse incomparables. Et, pareil à The cell, la photographie (cette fois-ci de Colin Watkinson) est d’une pureté parfaite, ciselée, éblouissante comme un diamant.

Les deux mises en scène de Singh, par leur graphisme absolu et sophistiqué, peuvent être (et ont été) perçues comme de belles coquilles vides dénuées d’un quelconque intérêt cinématographique (et principalement scénaristique). Il faut à ce point ne pas aimer le cinéma, sa créativité, sa diversité, et se complaire dans de mornes chapelles élitistes pour refuser la magie visuelle de Singh qui, loin de n’être qu’une vaine esthétisation prétentieuse, existe, s’accorde et se justifie par ses intrigues. Certes, celle de The fall finit par tourner en rond (le film aurait gagné en puissance émotionnelle avec un quart d’heure de moins), mais cette rencontre improbable, dans un hôpital en 1915, entre un cascadeur suicidaire et une petite fille espiègle (Catinca Untaru, surprenante), sait toucher et amuser de par sa simple alchimie, sa belle complicité. Pourtant parrainé par David Fincher et Spike Jonze, The fall est resté scandaleusement inédit en France (frilosité congénitale des distributeurs). Cruelle décision pour ce film singulier, fable magique, grimoire flamboyant et hommage sincère aux casse-cous et acrobates d’un Hollywood d’antan.
mymp
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le 1 nov. 2012

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mymp

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