The We and the I par Anna_M
Des échanges de sms, des bousculades, des cris, de la transpiration. Voilà comment le film commence, et la plongée est immédiate. Nous sommes dans le Bronx, C'est l'heure de l'ultime trajet scolaire de l'année, celui qui annonce l'arrivée des vacances d'été. On entre dans le film comme ces jeunes rentrent dans le bus : les moqueries n'attendent pas, les groupes sont bien distincts, et personne ne se fait de cadeau. Premier constat : Gondry s'amuse avec sa mise en scène. Il joue beaucoup sur les enchainements et sur la simultanéité entre les situations. Les conversations, et même parfois les plans, s'accordent et s'orchestrent à un rythme effréné. Pour en rajouter une couche, on suit le tout en temps réel. Le rendu est extrêmement dynamique, presque difficile à suivre au début, et finalement complètement addictif. Les vannes explosent, elles sont totalement contagieuses et cela peut être déroutant à observer en tant que spectateur. On oscille entre plusieurs sentiments, on est à la fois obligé d'être fasciné par la fluidité et la rapidité avec laquelle ces joutes verbales s'enchainent, et à la fois atterré par autant de bêtise et de violence. Violence qui est d'ailleurs tant physique que verbale. Le film nous immerge totalement dans l'ambiance, il a un côté véritablement ethnographique. Déjà parce qu'on se croirait réellement dans un bus du Bronx : les communautés sont toutes représentées, les physiques ne sont pas polis, lissés ou arrangés, et les acteurs qui les portent jouent leurs rôles à la perfection. Ensuite, parce qu'on se sent comme un passager fantôme. On a l'impression de faire partie de ce bus, d'errer avec la caméra de groupes en groupes, de ragots en ragots, de jeux adolescents en jeux adolescents, d'intimidations en intimidations, de secrets en secrets... Cela rappellera sûrement des souvenirs à beaucoup, car oui, entre ados, l'ambiance peut être très cruelle. Et puis on peut se mettre à faire des rapprochements avec les films de Spike Lee. Car Gondry réussit à créer une vraie ambiance ghetto, ce qui n'est pas rien. On peut presque sentir la sueur du fond de notre siège. On a cette sensation que le réalisateur sait de quoi il parle, on retrouve cette incision dans les réparties qui fusent... Et, comme chez Spike Lee, la musique se met très bien au service de l'ambiance. Dans tout ça, il arrive qu'on ait le cœur noué. Mais force est de constater qu'on rit aussi. C'est bête et méchant, mais ces vannes sont parfois réellement jouissives. Et à côté de cet humour parfaitement décapant, il y a certaines notes d'humour plus décalées, qui semblent atterrir de nulle part, comme cette scène surréaliste où tous les passagers du bus sont hypnotisés par une jeune fille qui roule à vélo. Et puis le trajet touche à son terme. Entre temps il s'est passé beaucoup de choses, mais voilà que le bus se dépeuple. Tout au long du film il y a comme un poids, comme si l'on attendait cet orage qui rode au-dessus des têtes... La fin arrive alors comme une bombe à retardement. Et on se prend la confrontation entre Alexis, solitaire que l'on n'a pas entendu du voyage, et Michael, membre des caïds du fond, comme une claque en pleine face. Le titre prend tout son sens. Car ce bus, c'est un microcosme, c'est un peu un condensé de vie. À mesure que le bus roule, la métaphore se file. Les groupes dominent le bus, mais il finit par se vider et ses membres se disloquent. Et le film porte bien son nom, car le dénouement est grave : à la fin, on est tout seul (ou presque).