Cela ressemble à un premier film, mais aussi à un documentaire et pourtant, ce n'est ni l'un, ni l'autre. Avec son huitième film, Michel Gondry s'offre un bain de jouvence en s'inspirant de son enfance, mais aussi de celle de ces acteurs amateurs. En tant qu'éternel enfant, il ne réalise pas un film de vieux con réac, comme la plupart de ses contemporains, mais une ode à la jeunesse et à sa diversité, même si elle est parfois cruelle.


Le film est sorti en 2012 dans la plus grande discrétion, au point de le rater dans les salles. Une séance de rattrapage s'imposait et cela fût un régal. Le générique de début s'ouvre sur Bust a Move de Young MC, du bon son hip-hop old school pour séduire mes tympans, mais aussi mes yeux, avec ce bus miniature roulant dans les rues du Bronx, pendant que de nombreux ados proches de l'hystérie, se préparent à monter dans un vrai bus. C'est le début des vacances, cela se ressent dans l'euphorie ambiante régnant dans ce lieu-clos où l'action va se concentrer.
Dans ce bordel apparent, on va suivre divers adolescents à la psychologie bien définie. Dans un faux style documentaire, Michel Gondry s'intéresse au changement de l'individu face au groupe, à la disparition de la personnalité dès qu'il se fond dans le tas. En prenant des acteurs amateurs, il insuffle un naturel à son récit, tout en se servant de leur vécu pour remplir son film d'anecdotes, sans oublier de jouer avec les portables, pour sortir du bus. Chacun va garder son prénom, ils n'ont pas besoin de se construire un personnage, vu qu'ils jouent leur propre rôle ou presque.


L'adolescence est une période cruelle de la vie. Les attaques sur le physique, sur la tenue vestimentaire, bref surtout sur l'apparence sont légions. Le monde semble être à eux, ils n'ont pas de limite, encore moins depuis l'émergence d'internet, puis des réseaux sociaux. Ils sont irrespectueux, envers les autres, mais aussi les leurs et eux-mêmes. On suit divers personnalités, cela va de la fille mal dans sa peau et acceptant les réflexions désagréables pour ne pas être seule, au gars jouant au caïd en refoulant ses sentiments. Ils sont à la recherche de leur place dans la société, de leur sexualité et par définition, de leur personnalité. Il y a de la schizophrénie en eux, au point de se poser la question : savoir qui je suis vraiment ?
Ils sont plus ou moins attachants, certains vont sortir du lot au fil du récit. Ce n'est pas surprenant de voir Michael Brodie et Teresa Lynn prendre de plus en plus ampleur, tant ils brillent face à la caméra. Le regard que chacun pose sur l'autre est différent, mais au milieu de tout les autres passagers, impossible d'être soi. Ils se frustrent aux-mêmes et n'osent ni exprimer leurs sentiments, ni leurs talents artistiques. Pourtant, on y croise un dessinateur, un poète et des musiciens. Ceux qui osent exprimer leurs talents, sont brimés et les autres, face aux réflexions ou actions, se font discret. Face à cette violence verbale ou physique, il n'est pas étonnant de voir certains montrer des troubles psychologiques ou d'être déjà sous antidépresseurs.


C'est un film rythmé, drôle et cruel. La musique joue un rôle essentiel, grâce à une BO hip-hop en osmose avec les divers plans sobres ou déjantés, portant la touche "Gondry". Il fait preuve de sobriété à l'intérieur du bus, mais dès qu'il s'en échappe, il laisse sa folie reprendre le dessus, pour le meilleur et toujours le meilleur. En fil rouge, on suit les aventures d'Elijah, dont tout le monde se moque par le biais d'une vidéo. Il est différent et son destin le sera aussi.
On ne rit pas aux éclats, ni on ne pleure. Michel Gondry ne sort jamais les violons, ni un nez rouge et pourtant il transmet divers émotions grâce à sa caméra. C'est passionnant de voir cette jeunesse évoluait sous nos yeux, cela renvoie à notre passé. Les générations sont différentes, elles ont leur propre culture, surtout en s'appropriant les mots, pour ne se faire comprendre que par eux-mêmes en tentant de se différencier. Mais du haut de ses 48 ans, Michel Gondry arrive pourtant à parler d'eux, car la vie n'est finalement qu'un éternel recommencement.


Après la difficile adaptation de The Green Hornet, Michel Gondry souffle avec ce film, offrant une bouffée d'air frais aux spectateurs, comme à lui-même. Cela donne envie de voir sa dernière oeuvre Microbe et Gasoil, avant qu'il ne disparaisse de nos écrans.

easy2fly
8
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le 9 août 2015

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Laurent Doe

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