"How doest it feel, to treat me like you do"

Flunk - Blue Monday


Las, comment débuter un texte que je n'avais aucunement l'intention d'écrire. Te dire que ce film me trotte dans la tête depuis que je l'ai lancé, par hasard, avec un copain de passage. Te dire qu'une musique m'y a ramené et que le besoin de coucher sur papier numérique quelques mots, d'exorciser enfin ces impressions, m'a saisi soudainement.


Ou bien dois-je te parler de ce que le nom de Thelma et Louise évoque pour moi ? Te dire que pour moi c'est un nom avant tout, un nom se perdant dans les méandres de ces références cinématographiques, un nom tellement galvaudé qu'il me semblait parfaitement inutile de voir ce métrage.


Finalement je vais peut-être débuter par la fin. Par mon état d'émotion qui perdure encore plus d'une semaine après. Par cette sensation de ressentir le vent chaud de l'Arkansas et de l'Oklahoma dans mes cheveux tandis que la poussière fouettait mes yeux, que mon corps débile s'appesantissait sur mon canapé creusé, pareil à la banquette de la Ford Thunderbird 1966 décapotable.
La question se fit claire dans mon esprit, immédiatement après la dernière note du générique : comment un film me semblant si beau dans sa féminité triomphante pouvait avoir été réalisé par un homme ? Puis je me suis souvenu que Ridley était le père d'une autre femme forte du cinéma, Ripley. J'ai appris qu'il avait reçu le script des mains d'une Callie Khouri lassée de ne voir au cinéma qu'une succession de potiches sans saveurs, désireuse d'en voir une enfin « prendre le volant ».


On prend en marche le train de la vie de deux amies, dans une ville tranquille, dans une banlieue insipide, compartimentée, dans un resto' bondé. Deux amies partant en voyage, deux amies que tout semble opposer à l'écran car dès les premières minutes s'installe une dichotomie entre une Thelma indécise, aliénée à son tyran domestique gonflé d'orgueil et une Louise aussi sûr d'elle qu'indépendante, enfermée dans un cadre urbain trop petit pour elle, peut-être.


Le départ, presque coupable mais euphorisant, vers un chalet et une excursion sans conséquences, amusante. Louise a cela de beau qu'elle domine le cours des choses, sa vie, son copain, la route. Tout lui semble aisé, tout chez elle est arrêté, droit, maîtrisé. Tout cela Susan Sarandon l'incarne à merveille tandis que la sublime Geena Davis – mon dieu, quel visage charmant – se perd en sourire vains, en babillages. Elle s'éparpille, s'amuse, danse avec autant de légèreté que d'insouciance.


Un arrêt, un verre, une boîte de nuit et vient ce séducteur-violeur, ce pas de trop, ce coup de feu qui sonne comme le départ d'une course, le départ d'une vie qui vaut la peine d'être vécue, enfin…


Succédant aux paysages de banlieue, aux intérieurs noirâtres, la liberté gagnée se voit à travers les immensités écrasées par un soleil régnant sans conteste sur ces étendues ocre, ces montagnes déchiquetées. Le long des routes défilent les stations services sans noms, les resto-routes sans enseignes, les motels cradingue les poteaux électriques comme autant de bornes marquant l'avancée folle vers ce but lointain, le Mexique.


Road-trip émancipateur, la bobine de Ridley se fait féministe. Que se soit un petit-ami un brin possessifs, un mari grotesquement machiste ou un jeune playboy incapable d'autre chose que de prendre, rien de bon ne sort de ces relations qui finiront par amener nos deux guerrières de la route à s'en défier, à fouler au pied cette masculinité. Tombera alors le masque de l'autorité lorsque l'agent de police, fier et craint, se retirera en pleurnichant. Reste le machisme au paroxysme de la vulgarité incarné par ce camionneur poétique. Le duel sera à l'avantage de nos deux comparses, duel dans sa dimension western en un intelligent retournement des codes : les colts, le blouson de cuir, la poussière rouge, le stetson vissé sur le crâne de Louise. Duel remporté, victoire scellé par l'explosion du camion. La scène est en tout point aussi iconique qu'intéressante, achevant de nous montrer la profonde transformation de Thelma qui s'est au long du métrage pleinement accomplie.
Une seule figure masculine reste à sauver, celle du flic compréhensif, qui assiste impuissant au grand chambardement se préparant contre nos deux donzelles. Ce Harvey Keitel aussi vif que capable d'empathie.


Qu'il est beau, ce buddy movie ingénieux, cette magnifique émancipation de deux êtres que la vie emprisonne, l'une dans une dynamique de couple aliénante, l'autre dans un quotidien trop insignifiant. Deux êtres qui s'accomplissent, qui sortent de ces carcans, de ces autres qui entravent, se retrouvant deux. Qui aiment, vivent, sont trompées mais terriblement vivante, jusqu'au coup d'accélérateur final, refusant le retour à une réalité par trop cruelle.


PS : la scène avec le rasta en vélo ... impayable. Complètement gratuite, mais impayable
PPS : intéressant de voir que c'est une musique venue des étendues nordiques qui me pousse à écrire sur ce film.

Créée

le 26 mars 2016

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Petitbarbu

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