Un concept très intéressant, un film inégal

L'idée originale de Time Out - remplacer l'argent par du temps - est intelligente puisqu'elle permet de mettre en évidence et d'exacerber les tensions sociales que nous connaissons dans le monde actuel. Car, outre les différences flagrantes entre "très riches" vivant dans l'opulence et "très pauvres" se débattant dans une misère crasse, le temps disponible représente déjà une donnée sociale non négligeable : le temps et l'énergie nécessaire aux déplacements (transports publics/voiture individuelle), l'accès à l'éducation (jusqu'à 25-30 ans pour avoir de beaux diplômes/travailler dès 10 ans pour être rentable) mais aussi plus simplement l'espérance de vie (90 ans à jouir de ses actions en Bourse en recevant les meilleurs soins/30 ans à travailler ou se battre et mourir dans le dénuement le plus total).Tout cela est montré (ou suggéré) dans le film, qui devient dès lors une critique sociale d'anticipation intelligente comme il n'y en a que trop rarement, la science-fiction se limitant de nos jours le plus souvent à une vaine démonstration de technologies tape-à-l’œil.


Les acteurs, pour leur part, font leur travail, sans grand éclat, mais sans faux-pas non plus. Ce n'est donc ni eux, ni le concept du film qui constituent la faiblesse du film, mais bien le visuel : entre un "district" censément miséreux en réalité très propre et (a priori) vivable, une technologie qui (outre bien entendu la possibilité de rendre les gens immortels) ne semble pas avoir évolué pendant au moins deux siècles (le personnage le plus vieux rencontré avait 100 ans et des poussières et n'a manifestement pas connu le monde actuel) et s'est au mieux contentée d'un retro-futurisme qui donnent au film une esthétique finalement très pauvre qui fait davantage penser à série B de science-fiction des années 80 qu'à un film à gros budget (mêmes voitures, mêmes bus, mêmes armes, mêmes vêtements, même architecture qu'aujourd'hui...).


Mais ce n'est pas tout! Le scénario a également son lot de faiblesses. Passée la tragique introduction où le héro perd sa mère qui était à court de temps (et meurt donc, son "compteur" étant à zéro - il faut croire que la patience n'est plus une vertu dans ce monde), une révélation "choc" d'une évidence telle qu'elle perd tout son impact ("il faut des pauvres qui meurent rapidement pour éviter la surpopulation" - même les personnages, qui semblent véritablement "découvrir" s'en foutent un peu, en définitive), et une romance téléphonée (la princesse fragile qui découvre le monde impitoyable de son brave - mais bouseux - chevalier servant) qui nous gratifie d'un (trop) long passage entre Bonnie and Clyde et Robin des Bois qui aurait mérité quelques coupes.


Enfin, la morale de l'histoire est trop manichéenne en se contentant d'opposer riches et pauvres (on ne parle par exemple jamais des autres districts - chacun correspondant à un "degré" différent de richesse) et nie complètement une problématique esquissée à diverses reprises : quid de l'immortalité? C'est bien joli de dénoncer la richesse monumentale de certains lorsque d'autres survivent avec peine, mais à quel moment le concept même de richesse est-il dénoncé? Quand prend-t-on la peine de s'inquiéter de la potentielle surpopulation, du coût écologique et social d'une immortalité "pour tous" (ce à quoi nos héros semblent vouloir en venir)? Quel rééquilibrage du monde peut-il y avoir si les pauvres ont simplement accès à tout ce qu'ils désirent? (est-ce seulement enviable?) La question est régulièrement posée par différents protagonistes du film (essentiellement les "méchants") et méritait au moins que le film s'y attarde un peu... l'intrigue n'étant pas "surchargée" de thématique et souffrant quelques longueurs, cela ne tenait pas du défi.


Un film qui me laisse donc une impression mitigée : c'est un film intelligent, plein de bonnes idées et agréable à suivre, mais dont le scénario trop faible nuit finalement à son intention de départ car trop simpliste et sans prise de risque (il n'est guère difficile de taper sur les riches et d'éluder le problème fondamental d'un immortalité généralisée ou - si l'on veut se référer à notre monde - d'une généralisation d'un mode de vie luxueux et matérialiste, mais vide de sens et destructeur), le tout "enrobé" d'un visuel pauvre, mais surtout incohérent.

Ezechielle
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le 4 févr. 2015

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