L'"Autant en emporte le Vent" des années 2000

Incoulable Titanic ! 0h20, la semaine dernière, il reste dix minutes au chef d'œuvre de James Cameron. Malgré tout, on regarde la fin, qui contient sûrement l'une des plus belles du cinéma.

Un canot de sauvetage file lentement dans la nuit étoilée de l'Atlantique. On dirait un tableau. L'Officier, superbement joué par Ioan « Captain Fantastic » Gruffudd, cherche désespérément des survivants.

Autre tableau : Rose Dawson, Ophélie moderne, gît glacée sur son lit de bois, serrant la main de Jack : il est mort et elle ne le sait pas.

Ce qui est très fort à ce stade du film, c'est que Cameron arrive à nous faire croire que Rose est en danger de mort, alors que c'est elle qui nous raconte a tragédie, 90 ans plus tard, à bord du Keldysh.

Comment s'y prend-il ? En dilatant le temps à l'extrême, en retardant le climax, moment où le spectateur soulagé va assister au sauvetage de Rose.

Du grand art, en vérité : d'abord un simple reflet de lampe-torche sur le visage de Rose. Mais elle ne réagit pas, engourdie par le froid. Puis son regard accroche la lumière ; elle comprend, tente de réveiller Jack, et perd des secondes interminables : « Jack !? Jack !? Jack !!! » Petite subtilité qui fait la différence, Rose ne hurle pas, elle chuchote. Signifiant qu'elle est quasi-mourante, gelée, enrouée... Son destin semble ne tenir qu'à un fil. Mais réalisant finalement son serment (ne pas mourir ici, comme ça), elle abandonne Jack dans un dernier baiser. Se rue sur le cadavre le plus proche, s'empare du sifflet et maladroitement (le maladroitement est aussi très important), siffle de toutes ses forces. Elle est sauvée, d'ailleurs Cameron ne s'ennuie pas à filmer le sauvetage lui-même.

Les cinq dernières minutes serviront à boucler tous les arcs dramatiques : Rose ne reverra jamais sa mère, son fiancé se suicidera en 1929, le Cœur de l'Océan ne sera jamais retrouvé, etc.

Mais surtout, dans ces cinq dernières minutes, Cameron part avec la caisse. Au début du film, il avait fait en quelque sorte un pari avec le spectateur : « Vous êtes venu voir un film catastrophe ? Et bien moi, je vais vous raconter une histoire d'amour, et je vous parie que vous allez pleurer comme des madeleines à la fin ! »

Pour cela, Cameron va mettre en place un dispositif très malin, pour faire basculer le spectateur de son côté. Pendant les vingt premières minutes, Titanic-le-film s'attache aux aspects les plus prosaïques, pour ne pas dire vulgaires de la mythologie Titanic : chasse au trésor, pilleurs d'épaves, naufrage, catastrophe, etc. Ces éléments installent le spectateur dans un registre connu : le film d'aventure, le film catastrophe, le blockbuster racoleur...

Comment ? D'abord, en décrédibilisant la narratrice : « vieille dame », »fofolle amnésique », « actrice ». Ensuite, en tuant tout suspense. Et pour cela, il utilise deux outils tout aussi vulgaires : l'ingénieur nerd, l'image de synthèse cheap. Lors d'une réplique mémorable, l'ingénieur Bodine (gros barbu à lunettes, T-Shirt Watchmen) explique crûment à la vieille Rose comment s'est déroulé le naufrage, mais surtout, il déflore le sujet en parlant en fait au spectateur : voilà ce que vous, au fond de votre siège, vous allez voir dans les 120 prochianes minutes : « She hits the berg on the starboard side, right? (...) finally she's got her whole ass sticking up in the air – And that's a big ass, we're talking 20-30,000 tons. Okay? (...) The bow section planes away, landing about half a mile away going about 20-30 knots when it hits the ocean floor. « BOOM, PLCCCCCGGG! »... Pretty cool huh? ». Côté image, c'est aussi cheap : des images de synthèse, mais pourries.

Avec cette scène, il a déjà désamorcé le suspens, mais surtout, il a démonté l'aspect sensationnaliste inhérent à ce genre de film. Le film catastrophe, c'est cheap !

Mais maintenant, il faut que le film bascule : il faut inverser la vapeur, passer au film romantique, à l'histoire d'amour, à la tragédie. Rejoindre le vrai projet du film : pas un film catastrophe, mais bien un drame humain. Cameron va alors réutiliser la vieille dame, mais sur un brusque changement de pied : « Thank you for that fine forensic analysis, Mr. Bodine. Of course, the experience of it was... somewhat different. ».

Tout est dit : la vieille folle est devenue une narratrice crédible*. Le film catastrophe est une histoire humaine. L'épave qui vient de couler en 3D est « the Ship of Dreams ».

L'Histoire peut commencer.

*Tant et si bien qu'à la fin, le film aura changé de héros, passant de l'explorateur (Bill Paxton) à Rose (Kate Winslet – Gloria Stuart)
ludovico
10
Écrit par

Créée

le 1 mai 2012

Critique lue 654 fois

9 j'aime

4 commentaires

ludovico

Écrit par

Critique lue 654 fois

9
4

D'autres avis sur Titanic

Titanic
Julie_D
9

Of course, the experience of it was somewhat different.

Je me rappelle très bien de ma première vision de Titanic. Nous n'étions plus que deux au sein de ma classe de 5ème à ne pas être allées voir le phénomène, et ma camarade a presque du me trainer au...

le 4 mai 2012

116 j'aime

8

Titanic
Yas
9

Critique de Titanic par Yas

Que les choses soient claires dès le départ : je ne suis pas du tout fleur bleue. Même pas comédie romantique. Et je rajoute aussi que j'étais contre les tournures de romantisme ambiant qu'a pu...

Par

le 31 janv. 2011

88 j'aime

12

Titanic
Momodjah
3

Putain d'iceberg !

C'est LE film que j'ai refusé de voir pendant des années pour la simple et bonne raison que tout le monde l'avait vu et encore pire, adoré. Il me gavait par avance ! Oui, quand on est jeune, on aime...

le 23 oct. 2010

50 j'aime

18

Du même critique

Shining
ludovico
9

Le film SUR Kubrick ?

Après le flop public et critique de Barry Lyndon, Kubrick a certainement besoin de remonter sa cote, en adaptant cet auteur de best-sellers qui monte, Stephen King. Seul Carrie a été adapté à cette...

le 7 févr. 2011

191 j'aime

86

La Neuvième Porte
ludovico
9

Un film honteusement délaissé...

Un grand film, c’est quoi ? C’est un film qui passe sur NRJ12 (en VF mal doublée), qu’on prend au milieu, et qu’on regarde jusqu’au bout, malgré l’alléchant Mad Men S05e1 qui nous attend sur Canal à...

le 23 janv. 2011

58 j'aime

3

Borgia
ludovico
3

on y a cru pendant vingt secondes, jusqu'au générique...

C'est parti pour la série événement de Canal+. Ils sont forts chez Canal, ils ne font pas de série non-événement ! Mafiosa, Braquo, Borgia : même combat. Pour cette dernière, on y a cru pendant vingt...

le 14 oct. 2011

41 j'aime

13