Tomboy est somme toute une version soft et enfantine de Boys don’t cry, lissant considérablement nombre d’aspects crus et bouleversant complètement les psychologies des personnages. Si dans Boy’s don’t cry, le choix de la protagoniste était volontaire, le statut de garçon de Laure nait d’une confusion de la part d’une de ses voisines, qui l’intègre au groupe d’enfants de la résidence en la prenant pour un garçon. Un peu confuse, Laure se rebaptise Michaël (par opportunité d'agir comme un garçon, car troublée par l'erreur de son interlocutrice, la raison reste trouble, mais les prédispositions étaient claires). A partir de là, pour conserver son statut dans le groupe, Laure se bâtie une attitude masculine et observe le comportement des garçons pour ensuite le reproduire. Le traitement du film en lui-même est très intéressant et relativement osé, car tout est filmé ici du point de vue de Laure, une gamine de 10 ans dont le physique très masculin est confondant. Donc il n’y a de son point de vue pas de dimension sexuelle, c’est juste une petite fille qui fait comme les garçons, qui adopte leurs tics, en se mettant par exemple torse nu pour jouer au foot. C’est le spectateur qui crée le malaise en mettant toujours en apposition le fait que Laure soit une fille, en se complexifiant la situation avec des codes moraux et sociaux qui lancent des messages d’alerte sur ce qu’il est en train de voir, mais du point de vue du film, aucun jugement, les enjeux sont très simples et finalement enfantins, un mensonge innocent né d’une méprise de groupe. Et peu à peu, la situation se complexifie, une sortie baignade devenant un enjeu psychologique fort (voir la scène limite trash où Laure se fabrique un faux pénis en pâte à modeler pour donner le change à travers son maillot de bain), et devenant encore plus troublante quand la seule fille reconnue du groupe tombe amoureuse de Michael/Laure. Toujours sous un angle enfantin et complètement désexualisé, mais c’est le spectateur qui se met mal à l’aise devant la situation. Le film gère parfaitement ce climat psychologique enfantin, puisque le spectateur lui-même se trouble devant cette amourette tendre entre deux gamines de 10 ans, toutefois bâtie sur l’erreur de l’une et l’adaptation de l’autre. Ce climat rappelle quelque peu le merveilleux Let the right one in, avec une parenthèse amoureuse ici nettement plus développée. Prélude évidemment à la révélation de vérité traumatisante, véritable humiliation pour Laure forcée par ses parents de revêtir l’habit de femme pour aller s’excuser chez toutes les familles de sa bande d’amis, y compris chez celle de son amoureuse. L’humiliation est d’autant plus cruelle qu’elle est imposée, l’autorité parentale pliant la petite fille à ses codes moraux qui lui sont étrangers (la sentence est logique, mais le traumatisme émotionnel est là). Les parents ont rendus leur jugement, mais pas les enfants de la bande. L’humiliation à venir provoque l’anxiété du spectateur, et quand elle est là, elle a un goût âpre. Toutefois, le film ne veut pas rester dessus, décidant d’amorcer un nouveau départ avec la rentrée, où la petite Laure semble bien avoir appris sa leçon et avoir décidé de bien se comporter en fille en partant sur une amitié avec l'ancienne élue de son cœur. Personnellement, et ça doit se sentir, je suis un peu déçu par cette fin, qui termine sur une note d'espoir alors qu’une enfance poussée par quelques principes qu’ils ne comprennent pas commencent à persécuter Laure. Mais c’est somme toute une manière prudente de conclure sur un tel sujet, en ayant évité de partir dans le putassier ou le trash gratuit (comme dans le traumatisant Le livre de Jérémie, un drame trash que j’adore, mais qui est autrement plus insoutenable). Finalement, une excellente peinture psychologique, assez courte (1h18 seulement) mais servie par un casting impeccable.

Voracinéphile
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le 17 mai 2015

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Voracinéphile

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