Sequel, prequel, reboot, remake, requel. Officiellement, ce Total Recall n'est rien de tout ça. Il est plutôt annoncé comme une nouvelle adaptation de la nouvelle de Philip K. Dick, à l'instar du Millénium de Fincher, sorti plus tôt dans l'année, vis-à-vis de sa contrepartie suédoise. Sauf que d'un côté on a Fincher, et de l'autre Len Wiseman. Et alors ?

Alors il ne faut pas s'attendre à des miracles quand on a un passé fait des deux premiers Underworld et du dernier Die Hard. La réalisation est moderne, disons-le ainsi. C'est propre, très aseptisé et lissé côté photographie, la caméra bouge bien autour de nos personnages, les poursuites pas trop mal filmées et les corps à corps lisibles. Mais cela demeure très sommaire. Peu de mise en valeur, si ce n'est des gadgets, des explosions, des cascades... Et sans oublier les flares, important pour marquer le côtés futuriste tout clinquant, et se donner un semblant d'artistique. Sauf qu'ils n'ont souvent aucune raison d'être présents à l'image. Côté rythme, c'est toutefois assez poussé. Les dialogues ne durent jamais bien longtemps et le film se transforme en course poursuite pendant plus d'une heure et demie. Il faut dire qu'elle est bien alimentée, les "méchants" débarquent tout le temps au coin de la rue, ou derrière la porte, même lorsqu'ils ont été laissés sur le carreau dix secondes plus tôt. Mais tant que ça justifie de faire un peu de sport.

Par ailleurs, Harry Gregson-Williams aime bien composer pour les films douteux. J'avais pourtant particulièrement aimé le thème qu'il avait apporté à Prometheus, ainsi qu'à Cowboys & Envahisseurs, mais là, c'est un peu le néant. Il se lâche, ça fanfaronne sur les scènes d'action, avec un renfort bon marché du groupe d'électronique Hybrid en prime, et les cuivres et basses s'en donnent à cœur joie. C'est banal, redondant, et rien n'en sort au final. Les morceaux ambiants sur les plans en gravité zéro sont tout de même sympa et collent bien à l'évènement.

Colin Farrell joue Doug Quaid, ce mec ordinaire qui rêve d'aventure au milieu d'une vie des plus moroses et va se faire trafiquer le cerveau, jusqu'à ne plus savoir qui il est vraiment. Protagoniste principal, il délivre une prestation correcte, mais est souvent éclipsé par l'action. Pour l'accompagner, Jessica Biel s'adonne également à quelques séquences d'action, mais l'amourette qui s'étend entre les deux personnages n'est jamais bien présentée et peu intéressante. Schwarzenegger et Rachel Ticotin ne faisaient pas mieux 22 ans auparavant sur ce point. Et dans le rôle de la femme de Quaid, c'est celle du réalisateur qui s'y colle : Kate Beckinsale. Prenez Underworld, enlevez les crocs, les lycans et la cape de cuir, et rajoutez un environnement futuriste, c'est la même personne. Jamais totalement convaincante en tant que femme fatale très méchante et adepte d'arts martiaux, sa présence à l'écran demeure toutefois sympathique à l’œil. Bill Nighy et Bryan Cranston font aussi leur apparition, dans les pompes, respectivement, du meneur de la rébellion et du chancelier dictateur. Des rôles vite expédiés et sans grande conviction.

Vous l'aurez compris, ce film a beau être présenté comme une relecture de la nouvelle, tous ces personnages sont bel et bien directement repris du film de Verhoeven. Toutefois, pour garder une optique d'ancrage dans la réalité, l'action demeure sur Terre (et non sur Mars), avec une société bien présentée comme évolution de la nôtre. Le design des villes est, d'ailleurs, extrêmement réussi, avec ces immeubles cubiques empilés dans tous les sens, que ce soit à l'horizontale, la verticale, ou de part des plateformes aériennes qui marquent différents niveaux. Les bribes post-apocalyptiques aperçues des anciennes villes (contaminées de nuage toxique) sont également réussies et sympathiques. La technologie est présente dans chaque recoin, et même dans la paume de la main, au travers de gadgets très high-tech et tactiles, pile dans la possibilité d'évolution de ceux d'aujourd'hui. Et qui dit habitats aériens, dit véhicules aéroportés dans la veine d'un Blade Runner (dont l'architecture s'en rapproche fortement au passage), ou d'un Le Cinquième Élément. Bémol néanmoins, ces véhicules semblent souvent faux, avec une allure de jouets en plastique. Et ce n'est pas le seul point où les effets spéciaux ne font pas de merveilles. En ce qui concerne les dédales numériques hypnotisant des villes chaotiques et les robots soldats (qui ne sont pas sans rappeler des itérations semblables dans des films comme Star Wars ou I Robot, ou presque tous les jeux FPS de science-fiction), les détails ont été soignés et marquent sur grand-écran. Par contre, les explosions et incrustations de cascades dans des environnements numériques improbables sont généralement médiocres, voire ratées. À tel point que certains effets sont moins convaincants que ceux d'il y a 22 ans.

En se prenant trop au sérieux (aucun humour) et voulant se donner une attitude plus crédible, le film se tire une balle dans le pied. Si le côté désormais kitsch du film de 1990 permet d'être peut-être plus indulgent, il était également plus probant, et l'imaginaire y était beaucoup plus sollicité - avec ce voyage sur Mars et la civilisation implantée là-bas - que dans cette version de 2012 où tout reste cantonné dans la ville. Certains évènements sur la fin du film paraissent en outre trop exagérés. J'ai même envie de dire, dès le début nous sommes pris pour des cons. Un voyage sur Mars avec des mutants (et les effets de l'époque étaient suffisamment réussis pour que ça ne gêne pas dans le film) est bien plus crédible que cet ascenseur qui traverse la Terre de l'intérieur en passant tout près du noyau. Un ajout dont le but est tout simplement de faire du sensationnel et donner un vrai air de blockbuster à ce Total Recall version 2012 (ce qui permet d'avoir de sympathiques scènes sans gravité). Mais sachant que le diamètre de la Terre est d'environ 13 000 km, que la température du noyau avoisine les 5000°C, et qu'ils mettent juste un quart d'heure à faire le trajet, expliquez-moi comment ils peuvent être en un seul morceau avec une vitesse moyenne de 52 000 km/h, et seulement quelques couches de tôle et de verre pour les protéger. Surtout qu'ils sortent même de l'engin en pleine course ! Vous allez dire que je pinaille mais, franchement, mettre un tel engin dans un film qui se la joue "réaliste", c'est impensable.

Je compare énormément ce long-métrage à l'essai précédent car, même si celui-ci reste à terre - tout comme dans le récit de Philip K. Dick - tout le développement de l'histoire qui n'est pas issue de la nouvelle est en tous points repris de l’œuvre de Verhoeven. Pour rappel, dans la version papier, Doug va chez Rekall, découvre qu'en fait il est un agent sous couverture à la mémoire modifiée, et s'arrange avec l'agence qui le poursuit pour modifier de nouveau ce qu'il vient de redécouvrir. La première version cinéma, quant à elle, poussait cette histoire d'agent secret bien plus loin avec complot et infiltration sur Mars, tout en ayant un Doug toujours opposé à son agence. Dans le film de Wiseman, quelques persos et lieux changent, mais Doug suit exactement le même parcours. Le côté space opera et les aliens en moins. Alors qu'on ne vienne pas me parler d'une réadaptation de l'histoire de K. Dick. On y trouve même des situations, clins d’œil, et répliques reprises exactement du premier film.

Autre point de base de ce film : la dualité rêve/réalité qui est bien pauvrement gérée. La nouvelle ne laissait aucun doute quant à tout ce que vivait Doug était réel (narrateur omniscient aidant). Verhoeven a souhaité proposer une expérience nouvelle au spectateur et instaurer une ambiguïté qu'il a su parfaitement présenter. Au fur et à mesure du film, des éléments venaient s'ajouter en faveur de l'une ou l'autre possibilité, laissant toujours le public dans le doute. Wiseman, quant à lui, a voulu garder ce côté ambigu mais s'y est pris comme un tâcheron. C'est simple, à un certain point du film (l'implant chez Rekall), soit on décide que Doug vit un rêve, soit qu'il s'agit de la réalité. Et aucun élément ultérieur ne viendra réellement ébranler la pensée de base. Du coup, choisir que c'est le fruit de l'imaginaire enlève presque tout intérêt au développement futur de l'intrigue, tandis qu'opter pour la réalité rend le film abasourdissant de coïncidences, sans compter la trame voulue un peu plus tordue que l'originale. Et chaque élément peut-être parfaitement expliqué pour l'une ou l'autre "réalité", ne remettant jamais en question la pensée du spectateur. Exemple avec le piano qui peut tout aussi bien être une réminiscence de son ancienne mémoire que l'accomplissement de son souhait dans son rêve.

De toute façon, le film est bien trop long. C'est vrai que c'est à la mode depuis un peu d'atteindre la barre symbolique des deux heures sur la durée, et donc remplir avec ce que l'on peut. Certains diront que ce film aurait dû se finir avant même d'avoir commencé, je dirai plutôt que la dernière demie-heure aurait pu être abandonnée, pour ce qu'elle apporte à l'histoire et la qualité de ses scènes d'action et effets. Même si, concrètement, tout l'ensemble du film aurait sûrement gagné à ne jamais passer par la case cinéma mais plutôt celle du jeu-vidéo. La richesse des environnements, la technologie employée, l'action et la dynamique proposées, ainsi que les possibilités quant à la trame scénaristique auraient été plus qu'adéquates à une version vidéoludique, à mon avis.

Pour clore cette critique, sur laquelle je n'imaginais pas autant bavasser, je tiens à préciser l'absence de mauvaise foi pour favoriser les classiques. J'ai bien pris soin de ne revoir celui avec Schwarzy qu'après ce remake (le mot est lâché), et surtout une dizaine d'années après mon dernier visionnage. Tout comme j'ai lu la nouvelle, par la suite, pour la première fois. Et, sans aucune mesure, cette production 2012 est bien pauvre et dénuée de plaisir en comparaison des deux versions précédentes. Celui-ci ne restera dans les mémoires que comme un patchwork bancal de la majorité des films futuristes post-2000.
AntoineRA
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le 18 août 2012

Modifiée

le 19 août 2012

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AntoineRA

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