Un lac
6.6
Un lac

Film de Philippe Grandrieux (2008)

Au-delà de cette dernière escapade en date (2008), le cinéma de Gandrieux est un cas d’école. Un cinéma pulsionnel et hypnotique, consacré par Sombre, voyage hallucinant et expérience presque révolutionnaire, puis La Vie Nouvelle. Les amateurs de cinéma Alternatif savent qu’ils ont à faire à un maestro et sont naturellement disposés pour ce genre de programmes. Mais l’envie d’aimer et de s’abandonner ne suffit pas à gonfler un film : Un Lac est un parangon de sensoriel absurde et creux, artificiel mais néanmoins pauvre et auto-limité. Gandrieux nous invite à nous sentir au plus près des âmes, à nous fondre dans l’atmosphère presque physique des personnages et il a déjà relevé ce pari. Mais ici, le spectateur reste derrière l’écran ; et la condition d’observateur, face à un produit déstructuré, est assimilable à une prise d’otage par un savant fou, dont nous serions le cobaye éprouvé ou l’assistant gêné.

Un homme arrive en pleurant. Étreinte sauvage. Grognements. « Moi, je suis ton frère » souffle-t-il après leur fusion improbable. Et c’est parti… Pendant une heure et demi, Un Lac n’est fait que de ces errances et de ces mystères ringards, dans un style tour à tour épileptique puis apaisé. C’est une œuvre de forme et libre à chacun de trouver cette odyssée touchante ou de rester à quai.

C’est potentiellement de l’expérimental dégénéré, accouché du néant et voué à s’y dissoudre à nouveau. Évidemment, certains percevront ici une beauté, une sensibilité, même une raison d’être (qui à d’autres échappe totalement, ou qu’ils méprisent parce que le spectacle est insipide, inconséquent, ou peut-être et c’est plus cruel, pas à la hauteur de ses ambitions).

On dirait la compilation (très fluide) d’un aventurier asocial et dissocié qui rapporterait sa communion avec le céleste. Mais c’est trop fluide justement, et malgré la brutalité artificielle des personnages, rien ne naît ; tout fuit, c’est un film qui se dissout, s’évapore alors qu’on essaie de s’y plonger et de le capter. L’important n’est pas de comprendre, c’est l’immersion ; elle est parasité par ce récit qui se cherche sans cesse et agace, à la façon d’une midinette soporifique qui viendrait présenter un brouillon qui dans son esprit est l’aboutissement d’un chef-d’œuvre. Au lieu d’absolu, on a le sentiment d’être dans une salle d’attente, avec des gamins refusant la mort qu’ils guettent. Leurs diversions sont pâlottes et si la métaphore est illustrée avec brio, elle n’est pas animée, pas encore vivante.

Pour autant, le film est très beau. Le contexte l’est en tout cas : nous sommes un peu comme dans un rêve sans logique, ou on bascule d’un espace à l’autre, ou tout se ressemble et s’annule, ou la civilisation a disparue pour laisser place à ses simulacres ou à l’expression d’instincts. La grâce frappe, l’alchimie s’opère ainsi à quelques moments ; mais ce n’est qu’un cumul de voyages initiatiques ponctuels et de romans-photos bizarres et vains.

Gandrieux est collé à un personnage exalté mais aux tourments incertains et, en un mot comme en cent, chiants. Sa présence gâche toutes les ébauches. En parallèle, la nature, elle, inspire et aspire tant, alors qu’une humanité sans chaire et sans histoire pollue ce roman qui s’écrit sous nos yeux.

Mais c’est aussi désagréable, harassant finalement, tant on patauge dans la besogne. C’est un peu du Zola filmé (à ceci près qu’il n’y a ici ni la psychologie ni la matière – seules les sensations pures et simples sont auscultées), mais remaké par un étudiant nombriliste ou un génie médusé devant sa présumée folie créatrice, sans jamais comprendre qu’il ne fait qu’assembler des morceaux de son esprit, sans doute plus assez malade, ou bien trop paresseux ou exténué, pour permettre de décoller et de rendre le spectacle impliquant.

Alors oui, c’est éventuellement beau mais ça n’évoque rien – pas faute que chaque chose soit sur-signifiée, gonflée outrageusement (un soupir, une posture, un regard vitreux, une action quelconque), chaque mouvement étiré à l’excès. Ne reste qu’un film boursouflé et vacant, une odyssée "arty" poseuse et caricaturale. Sans doute le brouillon terne d’une œuvre flamboyante : gageons qu’il ne s’agit que d’un repli ponctuel et n’oublions pas que c’est celui d’un artiste authentique et réel.

http://zogarok.wordpress.com/2012/10/30/un-lac/

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le 7 janv. 2015

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