Valentino
7
Valentino

Film de Ken Russell (1977)

Non, non, non Ken Russell n'est pas mort

Evénement - le Valentino de Ken Russell, introuvable depuis une éternité, vient juste d'être ré-édité, pour la première fois en DVD. Cette absence était d'autant plus surprenante que Valentino s'inscrit dans la grande période de Ken Russell, il la clôt plutôt, celle qui s'ouvre avec Women in love, celle des grandes autobiographies délirantes, musicales le plus souvent (Tchaïkovski, Mahler, Liszt). Ce regain d'intérêt est peut-être lié à la disparition récente de Russell, cinéaste considérable, irrégulier sans doute, parfois très mauvais, controversé et décrié, génial en un mot. On attend désormais les derniers introuvables - de cette même période (Lisztomania), plus tardifs mais intéressants (The Rainbow), où les raretés des débuts quand il n'était pas encore Russell (French dressing) où de l'extrême fin quand il était déjà oublié (The Fall of the louse of Usher).

Le risque, énorme, avec celui de la réédition d'un film quasi adulé après quelques décennies, est celui de l'énorme déception.
Cela a bien failli être le cas pendant trois quarts d'heure - avec le retour des pires défauts de Russell : scènes creuses et kitchissimes, presque vulgaires (surtout dans la VF), dialogues affreusement surjoués, constructions simplistes - enterrement de Valentino - flash back Valentino avec une femme -Valentino avec une autre femme - Enterrement - Valentino avec une troisième femme etc.

Et puis, avec l'arrivée de Michelle Phillips (la chanteuse des Mamas and Papas ) le récit se stabilise, devient cohérent avec des personnages récurrents qui se croisent autour de la silhouette de valentino (les femmes toujours, mais des hommes aussi, rarement bienveillants), le traitement reste évidemment dynamique (mais moins survolté, avec des changements de rythme, presque des pauses), du traitement kitch de la réalisation on passe à la marque du grand Russell, celle d'un baroque maîtrisé avec génie des décors et des costumes, mouvement ininterrompu à l'intérieur de chaque plan. Russell reste fidèle à sa manière "autobiographique" : s'appuyer sur des événements attestés de la vie de Valentino, les détourner, les envelopper de délire avant de recommencer. S'enchaînent alors des scènes extrêmement réussies : l'enterrement avec centaines de femmes impossibles à contenir, journalistes vautours (somme toute assez fidèles aux obsèques réelles de Valentino où toutes les fenêtres furent brisées par une foule incontrôlable, pour que les admirateurs puissent toucher le cadavre), la rencontre délirante avec Fatty et ses groupies, les premiers films produits par Lasky (avec en arrière-plan d'autres scènes détachés du récit lui-même), la scène cruelle (fantasmée ?) de la prison, l'arrivée de l'imprésario Georges Ullman au bord de la mer puis la tournée de danse / publicité pour cosmétiques, la scène d'amour festive entre Valentino et Lorna (Penelope Milford), le match de boxe traité sur le mode burlesque ...
On peut même se demander si les principales critiques adressées au film, portant sur le choix de Noureyev pour interpréter Valentino, sur les "qualités" d'interprétation de ce dernier, ne reposent pas sur la volonté d'un Ken Russell toujours plus malin. De fait Valentino, danseur russe, exilé à Paris, joue en anglais en tentant de prendre un accent italien ... De même Leslie Caron, actrice franco-américaine, prend (mal) un accent de diva russe à chacune de ses apparitions ... cela dit, ces personnages sont les stars du cinéma muet. Comment dès lors s'étonner qu'ils jouent faux sitôt qu'ils sont amenés à parler ?

On peut également s'interroger sur la place prépondérante de la danse, alors même que les stars du film sont des vedettes de cinéma. Cela dit, si les évocations des films tournés par Valentino sont relativement brèves, elles n'en sont pas moins remarquablement rendues par le recours alternatif au noir et blanc. Valentino danse beaucoup certes, il y a sans doute dans ces moments de danse (évidemment parfaitement interprétés par Noureyev, qui somme toute ressemble assez à Valentino) la représentation d'un plaisir absent dans le monde du cinéma, ses magouilles, ses injustices (l'horrible lasky refusant de verser une caution insignifiante pour renforcer l'impact publicitaire de l'emprisonnement de Valentino, sous les yeux de Flocon de neige, le gorille blanc du zoo de Barcelone qui fait ici un caméo inattendu), la danse pour oublier les déboires du cinéma ... avec peut-être le même rapport pour Ken Russell entre la musique (son refuge permanent) et le monde du cinéma qui commence alors à se détacher de lui...

Trente cinq ans plus tard, cette réédition va peut-être rendre justice à Ken Russell. .
pphf

Écrit par

Critique lue 834 fois

13

D'autres avis sur Valentino

Valentino
Eric31
8

Critique de Valentino par Eric31

Valentino est un biopic frénétique britannique réalisé par Ken Russell, coécrit par Mardik Martin d'après Valentino, an Intimate Exposé of the Sheik de Chaw Mank et Brad Steiger qui raconte...

le 6 juin 2016

4 j'aime

Du même critique

The Lobster
pphf
4

Homard m'a tuer

Prometteur prologue en plan séquence – avec femme, montagnes, route, voiture à l’arrêt, bruine, pré avec ânes, balai d’essuie-glaces, pare-brise et arme à feu. Puis le passage au noir, un titre...

Par

le 31 oct. 2015

142 j'aime

32

M le maudit
pphf
8

Les assassins sont parmi nous*

*C’est le titre initial prévu pour M le maudit, mais rejeté (on se demande bien pourquoi) par la censure de l’époque et par quelques fidèles du sieur Goebbels. Et pourtant, rien dans le film (ni...

Par

le 12 mars 2015

112 j'aime

8

Le Loup de Wall Street
pphf
9

Martin Scorsese est énorme

Shit - sex - and fric. Le Loup de Wall Street se situe quelque part entre la vulgarité extrême et le génie ultime, on y reviendra. Scorsese franchit le pas. Il n'y avait eu, dans ses films, pas le...

Par

le 27 déc. 2013

101 j'aime

11