Avant-dernier film de Luchino Visconti, Gruppo di famiglia in un interno apparaît comme son testament pour le grand écran. Il raconte la solitude d'un aristocrate, professeur de mathématiques au soir de sa vie, témoin des exaltations d'une famille de locataires sabotant sa réclusion paisible et mélancolique. Interprété par Burt Lancaster, ce professeur se profile comme le double de Visconti. Bien qu'étranger à tous les fracas des Brumonti, il se trouve diverti et ravivé par leur agitation, après les avoir maudit. La façon dont le professeur vit ces passions sous ses yeux est très différente de l'expérience d'Aschenbach dans Mort à Venise, où le vieux snob maladif était affecté jusqu'à la destruction. Le professeur, lui, se sait déjà condamné et peut négocier la situation avec calme et lucidité.


Visconti adopte une mise en scène posée, presque nonchalante, tout en gardant la main. L'heure est au recueillement mais la maîtrise reste intacte. Le bruit et la vanité remuent un climat nostalgique et feutré sans que le maître des lieux ne soit abattu et bafoué, contrairement à ses craintes. Ces gens l'amènent à une introspection différente, dont il n'est plus l'initiateur même s'il en reste le maître grâce à sa sagesse. Le film se donne en deux parties, il est assez théâtral, très verbal. On pourrait parler de 'drame de chambre' pour ce huis-clos, tragédie mordante, parfois même grossière, où les sentiments forts sont toujours passés au crible : d'accord pour le refus de la distance, le professeur est là pour jouer les arbitres de toutes façons ; mais chacun devra sinon se justifier, au moins afficher tout, rendre compte de ses motivations. Les personnages sont fortement caractérisés, chargés d'équipements lourds ; ils sont pourtant étrangers à toute caricature.


Leur fonction sociale les intéresse de la façon la plus cynique, instrumentale qui soit. Ils sont honnêtes parce qu'ils sont sans illusions ; ils sont sans illusions parce qu'ils en ont les moyens, enfants-otages chéris du capitalisme qu'ils sont. Indépendamment même de leurs positions, leur amertume existentielle nourrit leur fougue, bien que celle des autres soit embarrassante. Visconti rejoue le choc de l'aristocratie et de la bourgeoisie qui travaillait Le Guépard, adaptation fleuve de Lampedusa, sauf qu'aujourd'hui tous sont blasés, éventuellement sans le percevoir. La phase finale est largement politisée. À table, capitalisme, morale et contingences sont au menu. Il n'y a pas de masques héroïques (et les postures idéalistes sont balayées), seulement une concurrence d’égoïsmes et de résignations avec contreparties conséquentes. La marquise, sorte de Cartman aigri et chic au féminin (Silvana Mangano), est la bénéficiaire du pouvoir économique et du pessimisme de droite conjoints ; à l'entendre, elle est presque l'esclave d'un destin grandiose mais avilissant aux yeux des non-initiés.


https://zogarok.wordpress.com/2015/04/08/violence-et-passion/

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le 6 avr. 2015

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