Au moment où j'écris, j'écoute pour la deux millième fois l'album The Virgin Suicides de Air, bande son du film éponyme de Sofia Coppola. Il est quatre heures de l'après-midi, c'est une de ces journées trop chaudes où l'on rêve à grosses gouttes d'une bonne ventilation, le corps inerte mais l'esprit rêveur.
Chaque été, je repense aux soeurs Lisbon. Avec les premiers rayons du soleil, je revois, sous les feuilles de arbres, le quartier banlieusard de Détroit, pendant les années 70. Je me rappelle Marie, Bonnie, Thérèse, Cécilia. Et Lux, dont le regard avait transpercé l'écran de ma télévision à l'aube de mes huit ans, pour me marquer à jamais.
16 ans plus tard, je repense à elles. Des flash-backs me reviennent, et il me semble que leur charme mystérieux n'a pas envoûté que leurs voisins garçons. Je m'aperçois que je me suis approprié des séquences comme autant de souvenirs d'une autre vie où j'aurais été leur soeur. Autant attristée que fascinée par leur disparition, leur histoire m'a changée, a forgé ma perception du monde, de la mort et de la vie. Je me rappelle qu'à l'époque, j'avais trouvé une certaine beauté tragique dans la sombre éternité de leur geste. Les quatre anges volant vers la frontière mortelle aux confins de l'existence. A jamais martyrs, non de leur Dieu, mais de leur religion. A jamais belles, jeunes, désabusées jusqu'au sublime.
Il est 19h, le soleil décline. Mon vinyl s'est arrêté. Je quitte les soeurs Lisbon comme de vieilles amies d'enfance, un peu mélancolique. Et je me dis que peut-être, quelqu'un d'autre, quelque part, écoute "Empty house" avec la même mélancolie.