Le théâtre a toujours résonné dans le cinéma de Resnais. Son amour du décor, des subterfuges et autres effets d'optique, a constamment alimenté une œuvre exigeante et légère, rigoureuse et ludique. Rien d'étonnant donc à ce qu'il y revienne en adaptant une pièce d'Anouilh qu'il avait vue jeune, pièce qu'il détourne pour rendre un hommage appuyé à ceux qui font le théâtre, les comédiens.

La mise en scène est ample, habitée comme un souffle, magnifique comme toujours. Les somptueux décors mariés à la musique inspirée de Mark Snow évoquent le meilleur du cinéma de Resnais, Providence (autre mise en scène du monde) et les premières scènes sont enthousiasmantes. Le texte de l'Eurydice d'Anouilh va rapidement nourrir un jeu fraternel entre ces comédiens jouant la pièce à nouveau et d'autres l'ayant déjà jouée.

Le désir est immense de se laisser porter par la partition et le bel écrin. Le travail d'orfèvre de Resnais et de son équipe nous invite à l'écoute, à l'abandon, au plaisir... Il est alors difficile d'admettre (grandement difficile quand on admire Resnais) que le film déçoit. Peut-être est-il trop long, sans doute le procédé mis en place finit-il par tourner à vide. Mais le problème n'est pas là. Le problème est au cœur du film lui-même, le problème ce sont les comédiens, et plus précisément, les comédiennes.

Pourquoi Delphine Seyrig nous manque-t-elle à ce point ? Qu'est devenue Ellen Burstyn ? Pourquoi Resnais n'a-t-il pas rappelé Emmanuelle Devos ou Nicole Garcia ? Si jusqu'à présent Sabine Azema réussissait à ne pas (presque) être agaçante (allant même jusqu'à être bouleversante, dans L'amour à mort notamment), il semble qu'elle n'en soit plus capable. Elle n'est pas Eurydice et son registre dramatique est mauvais. De même, s'il est bien présomptueux de remettre en cause les choix d'un immense réalisateur, on peut se demander quelle mouche l'a piqué lorsqu'il est allé chercher l'insupportable Anne Consigny (déjà insupportable chez Desplechin ou ailleurs, et à nouveau ici). Les compositions des deux actrices ne sont pas à la hauteur du film. Quant à leurs partenaires masculins, s'ils "assurent", ils se sont déjà montrés plus inspirés. Ni Arditi ni Wilson ne composent un Orphée inoubliable. On regrette alors que les jeunes comédiens filmés par Bruno Podalydès ne soient pas davantage mis en avant.

Afin de ne pas être injuste, il faut tout de même souligner l'excellence des autres membres de la troupe : Michel Piccoli, Mathieu Amalric, Michel Vuillermoz et Anny Duperey notamment, sont magnifiques.

Vous n'avez encore rien vu est donc un film en demi-teinte, tellement beau quelquefois, et tellement gâché à d'autres moment, décevant donc... et c'est désolant de l'écrire. Même si c'est extrêmement rare, ce n'est pas la première fois que Resnais déçoit (Le pas passionnant La vie est un roman et le raté I want to go home). Alors ne nous inquiétons-pas. Souvenons-nous de Muriel, La guerre est finie, Providence, Mon oncle d'Amérique, L'amour à mort, Smoking/No smoking, On connaît la chanson... et rappelons-nous quel grand artiste il est.
pierreAfeu
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le 1 oct. 2012

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pierreAfeu

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