La comédie semble vouée à une éternelle place de sous-genre cinématographique. Son plébiscite par le peuple et son manque d’exigence technique lui empêche une totale reconnaissance. Ce positionnement apparaît comme un héritage archaïque des dogmes platoniciens sur la hiérarchie dans l’art. Mais, même si le changement commence à s’opérer par des oeuvres réussies qui font parfois leur apparition dans les cérémonies (“Mes Meilleures Amies” aux Oscars, “Intouchables” aux Césars), le salut arrivera par une sous-catégorie de la comédie: l’Absurde. Elle allie les qualités humouristiques nécéssaires au divertissement et une double lecture qui apporte une véritable finalité. Il serait réducteur de voir dans les films de Quentin Dupieux l’absurde comme une vaine recherche d’un humour basé sur des associations illogiques ou un simple effet de style. L’Absurde, pour être appelé comme tel, doit en effet avoir ce principe de double lecture qui lui permet par le rire de dénoncer les travers de la société ou les défauts d’un mécanisme. Avec “Rubber” (2010), Dupieux utilise l’absurde pour permettre une mise en abîme du cinéma: la place du spectateur (qu’il rend actif à travers ses faux-spectateurs) et la base narrative d’une intrigue (il y supprime la fin et tout contenu). Cette fois, avec “Wrong”, il se focalise sur la société moyenne et sa culture du “Wrong”, le faux ou plutôt les faux semblant. Son absurde lui permet de dénoncer cette quête perpétuelle de la routine. Les personnages ne remarquent pas l’absurde qui les entoure pour sa différence mais seulement par le fait qu’il sort d’un ordinaire voulu. Attardons-nous sur l’exemple d’absurde engendré par Dupieux au sein du travail de Dolph. Il y fait ingénieusement (ou pas) tomber la pluie. Alliant le confinement des bureaux aux aléas climatiques de l’extérieur, cette pluie ne choque pourtant aucun des personnages. Mais, Dolph choisit un autre absurde puisqu’il persiste à venir au travail alors qu’il a été renvoyé depuis 3 mois. Il s’accroche quitte à devenir grotesque à l’adage “métro-boulot-dodo” qui rythme sa vie. On peut aussi remarquer que Dolph ne s’intéresse pas au fait que son palmier soit devenu un sapin, il se concentre seulement sur comment il pourra le remplacer. Il n’est pas gêné par l’absurde mais seulement par ce qui entrave son paysage habituel. Dolph est alors le symbole d’une humanité qui vit pour que rien ne lui arrive. Une humanité qui a peur du changement et qui ne cherche qu’à consolider la présence de son quotidien. Un seul personnage décide de quitter ce schéma de vie: Greg, son voisin. Perdant sa volonté de s’ancrer dans une routine, il renie outrageusement de faire du jogging tous les matins. Il paraît suffoquer dans cet univers où tout doit être fait en temps et en heure. Il part alors pour une sorte de voyage spirituel, mais en s’éloignant de son quotidien il ne trouve que le néant d’un désert blanc. Le quotidien est le contenu d’une vie, et en voulant l’éviter, le personnage se perd.
Le film glissera progressivement dans un absurde qui se moquera d’un cinéma américain creux: mêlant les genres pour en faire une critique générale. Il commencera par la comédie animalière en plaçant le chien au centre de son film. Paul, le chien, aurait la place d’un enfant. Notons que Dupieux inverse judicieusement le nom des hommes et des animaux: l’homme sera Dolph, et le chien Paul. Le long-métrage basculera à la suite de l’enlèvement de Paul dans le grotesque des enquêtes policières: gadgets inutiles, suppositions évidentes et place de l’enquêteur. Dupieux regarde le film policier en montrant tant son absurdité que son manque de tension. Jamais le film policier n’aura été si prévisible. Enfin, Quentin Dupieux ferme son tour d’horizon des genres cinématographiques par le film autour du dépassement de soit. Connaissant le réalisateur, on voit qu’il ironise sur le but à atteindre (parler télépathiquement avec son chien) et sur la figure du guide spirituel (entre mafieux et fou). Il continue alors sa réflexion sur la cinéma commencée par “Rubber” (certes “Wrong” est moins poussé) et se focalise sur un cinéma particulier: le cinéma américain. Quentin Dupieux semblent lancé sur le terrain du film américanophile en prenant la photographie et les décors du cinéma indépendant pour le retourner contre les grosses productions. Un claque du faible contre le fort. Cela ne changera pas l’histoire, nous sommes d’accord, mais c’est jubilatoire.
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