En l'espace de seulement quatre longs-métrages, Quentin Dupieux, plus connu par certains sous le sobriquet de Mr. Oizo, s'est déjà créé un univers cinématographique bien à lui. Un univers démentiel, extravagant, irrationnel, surréaliste, loin de toute logique et de la moindre raison. Un univers que n’auraient pas renié Luis Bunuel, les Monty Python et David Lynch.
Bien évidemment, et c'est d'ores et déjà la marque de fabrique de Dupieux, l'absurde règne en maître durant les 1h30 de film. L'humour est toujours aussi saugrenu et insensé, à tel point qu'il en devient d'une grande subtilité. En témoigne des dialogues parfaitement ciselés, tellement irrationnels et stupides qu'ils sont de véritables petits chefs-d’œuvre d'écriture dans leur genre. Bien évidemment, "WRONG" sonnera creux et débile pour une grande partie du public, notamment pour les (nombreux) détracteurs du style si particulier de Dupieux. Beaucoup le trouverons trop arty, trop conceptuel, sans le moindre intérêt. Mais ne nous y trompons pas, le cinéaste-musicien maitrise son sujet avec maestria et inventivité, et est bien plus profond qu’il n’y parait. Car, si l’on regarde bien, celui-ci imprègne toujours un double-discours sous-jacent à ses lubies délirantes. Là où s'écrivait en filigrane une critique de la globalisation de la mode et des tendances dans "Steak", et une satire sur la production audiovisuelle hollywoodienne ainsi qu’un portrait au vitriol du public de celle-ci dans "Rubber", "WRONG" pousse le concept de l’inquiétante étrangeté freudienne à son paroxysme. Ici, c'est le normal, le réel, le banalisé, qui devient source d'inquiétude, d'effroi, de bizarrerie. Dupieux propose une astucieuse rupture avec le rassurant de notre quotidien normé et joue avec sans avoir faux. Et il se dégage vraiment quelque chose de l'ambiance générale qui, sous ses teintes joyeuses, familiales et colorées, est en réalité austère, désespérée et mélancolique. Le fait de tourner dans le cadre idyllique de l'Amérique moyenne et de ses "Picket Fence Cartel" chers à David Lynch n'y est pas étranger. C’est une plongée absolument farfelue dans le cauchemar de l'American Way Of Life.

A noter des seconds rôles vraiment prodigieux, à l'image d'un Eric Judor qui fait du Eric Judor dans le texte en jardinier un brin teubé, de William Fichtner ("The Dark Knight, "la série "Prison Break") en espèce de gourou bien siphonné, ou encore d'un détective privé complètement à la masse, d’une livreuse de pizza nymphomane et envahissante, ou d'un voisin en plein déni de la pratique du jogging.

Sorte de conte métaphysique délirant et abstrait à l'imagerie numérique ultra-sophistiquée et archi-soignée, "WRONG" séduira les amateurs d’absurde et les admirateurs de Dupieux. En plus, le bonhomme fait (presque) tout, du scénario à la mise en scène, en passant par la musique, la photographie et le montage, de quoi lui donner un côté un brin mégalo. Mais on a bien là un véritable OFNI (Objet Filmique Non Identifié) volant dans le ciel du cinéma conventionnel et conformiste, et rien que ça, et bien ça fait un bien fou ! Car jusqu’ici, le membre de la French Touch n'est pas loin d'avoir "right" dans ce qu'il fait, et, même si son concept s’essoufflera forcément un jour, on ne peut s'empêcher de penser en sortant de celui-ci : "vivement le prochain !"

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JeanVacances
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le 7 oct. 2013

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