Une expérience narrative à la hauteur de sa débilité technique

Deadly Premonition constitue l'un des rares jeux que j'ai acquis par recommandation de tiers et ma foi je dois dire que je n'ai pas du tout été déçu mais plutôt transcendé. Il faut aussi avouer, à ma décharge, que les visuels et trailers du jeu ne sont pas du tout à son avantage : décors laids, animations ridicules, jouabilité qui ferait presque honte à une Playstation et vidéos gère transcendantes. Mais après avoir joué au jeu, on comprend que Deadly Premonition ne se joue pas, il se vit. Le delta entre sa réalisation technique et sa direction artistique est le plus grand que je n'ai jamais vu, et il me reste à vous convaincre de laisser une chance à ce jeu.

Un naufrage technique

La première fois que l'on prend en main Deadly Premonition, on ne peut que constater la réalisation antédiluvienne du titre, aussi bien d'un point de vue graphique que technique.

Pour commencer, les décors du jeu font penser à de la Playstation 2, et encore quand on atterrit dans la partie Open-World du titre, on se croirait plutôt aux débuts de ladite machine. Si les personnages sont relativement corrects, les textures du sol et des objets sont extrêmement pauvres, le clipping rappelle inlassablement sa présence et un flou léger semble environner le jeu.
Au delà des textures, les animations se révèlent si mauvaises qu'elles en deviennent fortuitement un élément de l'humour (omniprésent) du jeu. De fait, chaque personnage semble posséder 4 ou 5 animations différentes qui s'enchainent les unes après les autres d'une façon à moitié saccadée (je fume une clope, je mets mon doigts sur la tempe, etc...).
Enfin, sur le plan technique, on déplore un son déséquilibré (les musiques sont trop fortes par rapport aux voix deviennent souvent à moitié inaudibles) et des bugs parfois gênants (du genre qui vous font recommencer un pan du scénario).

Si Deadly Premonition ne réussit pas à nous enchanter par sa technique, il ne nous ramène pas non plus dans le droit chemin quand il s'agit de jouabilité. Là encore, le jeu accuse un retard phénoménal avec un mode de contrôle qu'on croyait passé aux oubliettes avec la génération 32 bits.
Pour commencer, le personnage principal souffre du même syndrome que Ryo Hazuki avec comme symptômes une démarche de Playmobil, des changements d'allure ou de direction mous et rigides et une caméra à l'ancienne. Pour continuer dans les pathologies liées au déplacement, on pourra se rassurer puisque la voiture est aussi atteinte des mêmes maux. Si de telles voitures étaient placées sur le marché, le taux d'accident augmenterait probablement de façon exponentielle. Bon, j'exagère, si l'ensemble est super rigide et vieillot, le tout reste jouable sans qu'on s'arrache les cheveux.
Autre point assez navrant de la jouabilité, les phases de shoot sont logées à la même enseigne que les déplacements avec lesquelles elles doivent composer pour nous livrer un cocktail assez repoussant. Très rigide, la visée n'est pas sauvée par la nécessité de fuir les ennemis via les déplacements. En gros, durant les phases d'action, vous passerez votre temps à viser la tête après avoir réussi à placer votre viseur (ce qui peut être long) ou à utiliser la visée semi-auto (qui n'est pas optimale en termes de dégâts) puis à fuir pour recommencer (heureusement il y a un bouton pour se retourner très rapidement). Très lourdes, ces phases constituent l'un de mes principaux déplaisirs sur ce jeu qui en compte quand même beaucoup. Une autre alternative est de ne plus respirer en se baissant, ce qui empêche les créatures de nous repérer et donc de nous toucher, mais bien sûr la durée est limitée.
Enfin, les mini-jeux ne sont pas mieux lotis tout comme les QTE super mal équilibrés (trop rapides la plupart du temps).

"Bon jusque là tu es en train de nous dire que Deadly Premonition" est non seulement super laid mais aussi doté d'une jouabilité calamiteuse. Mais alors, il reste quoi à ce jeu ?"

Un projet ambitieux bourré de détails

Développé depuis des temps immémoriaux, Deadly Premonition est assez semblable à plusieurs de ses camarades arlésiennes. De fait, s'il, comme nous l'avons vu, se révèle complètement largué du point de vue technique, il émet une véritable proposition ludique ambitieuse doublement exacerbée par une politique visible de privilège du fond devant la forme.
Ainsi, on retrouve toutes ces petites idées qui émanent des œuvres mûries depuis des années et qui font plaisir à voir. En effet, Deadly Premonition voit les choses en grand en nous proposant un véritable open-world, certes laid, mais garni de plusieurs mini-jeux et surtout d'un bon nombre de personnages dont on pourra découvrir le riche background au gré des quêtes annexes (globalement mauvaises mais le résultat en vaut la peine), de sorte que toute la partie annexe occupe une place presque aussi grande que la quête principale d'un point de vue scénaristique. En plus de cela, la ville se révèle bien vivante (les personnages se déplacent, vont au travail, témoignent de leur état d'esprit) avec la possibilité d'observer l'intérieur des maisons par les volets. Impressionnant n'est-ce pas ?
Mais ce n'est pas tout parce que le titre multiplie également les petites détails réalistes qu'on voyait à une époque dans les vieux RPGs PC comme une jauge de sommeil (à remplir via du café ou en dormant) et une jauge de faim (à remplir via des aliments) . Comble du souci du détail, Deadly Premonition gère aussi la propreté des vêtements et nous autorise à activer les clignotants, les phares ou les essuie-glaces de notre voiture manuellement. Notre voiture aussi nécessite de l'essence. Si la plupart de ces détails ne servent à rien (par exemple, l'essuie-glace n'essuie rien du tout) et si certains bug exploit existent (on peut alterner entre deux voitures, celle qui reste se remplira seule), ils font plaisir à voir dans une industrie qui vise plutôt à la simplification.
Enfin, le jeu intègre une gestion du temps, temps qui passe d'ailleurs très lentement mais que l'on peut accélérer en fumant (eh oui, "fumer tue", en effet il nous rapproche plus vite de la mort).

Le souci du détail se retrouve également d'un point de vue scénaristique puisque, comme nous l'avons vu, le titre présente un grand nombre de personnages ayant chacun des quêtes annexes associées. Entre découvertes surprenantes (drôles ou dérangeantes) et détails pour la trame principale, le jeu ne se veut absolument pas avare en détails. C'est d'ailleurs ce qui a manqué à Alan Wake.

"Et ? C'est tout ? Rien d'autre ?"

Une histoire de grande qualité et une patte artistique vraiment très personnelle

Avec une telle organisation de texte sous la forme d'une montée crescendo du point de vue des qualités (un peu à l'image du jeu), vous vous doutez là que l'on atteint l'apothéose de ce que représente Deadly Premonition et de ce qui fait que, malgré une réalisation technique antédiluvienne et des phases de shoot répétitives, on arrive à finir le jeu d'une traite sans voir le temps passer. Oui, Deadly Premonition nous livre une histoire de grande qualité, écrite avec goût et narrée avec un délicieux mélange de grotesque et de sérieux.

Tout commence une nuit aux côtés de Francis York Morgan, agent du FBI schizophrène dialoguant avec son "ami imaginaire" Zack, détaché par sa hiérarchie pour enquêter sur un meurtre perpétré dans le village de Greenvale. En effet, cette "belle" jeune fille (peut-être sur un artwork, mais avec le moteur 3D, c'est plutôt vilain) a été retrouvée, morte et à demi-nue, accrochée à un arbre les bras en croix avec des graines rouges dans la bouche (déjà retrouvées par le héros dans d'autres villes dans le cadre de meurtres similaires). Après un accueil musclé proposé par des zombies et un mystérieux tueur à la hache drapé de rouge dans une forêt, Francis York Morgan est conduit à Greenvale où il y rencontre le Shérif de la ville ainsi que son assistante. Ainsi commence l'aventure du héros qui devra enquêter dans une ville à moitié désertée avec de temps à autres des zombies apparaissant mystérieusement sous la pluie.
Sans vous en dévoiler outre mesure, Deadly Premonition dépasse le cadre de la simple enquête ou du simple jeu d'horreur, il s'aventure de fait sur la voix de la psychologie, du mystique et permet au joueur d'apprendre à connaître une grande galerie de personnages, véritables moteurs du jeu (hommage au chef de la ville avec ses discours d'oracle illuminé et son charisme incroyable). Ainsi Deadly Premonition joue la carte de la psychologie avec son héros mystérieux environné de multiples détails sans réponse et son monde intérieur intrigant dans lequel on s'aventure quand le personnage dort), de l'enquête policière avec une chasse aux motivations du meurtre et aux explications des faits troublants plutôt qu'à la découverte des coupables (qui ne sont pas donnés explicitement mais qui sont rapidement identifiables), du mysticisme avec des moments malheureusement indéfinissables ici sans spoil et des symboliques religieuses fortes, de l'émotion avec des scènes grandioses et des personnages attachants, de l'horreur avec des découvertes sombres et dérangeantes, de l'humour avec des remarques délicieusement caustiques tout le long du jeu ainsi qu'à des personnages/situations/choix de musiques complètement WTF sans que ça ne vienne plomber outre mesure l'intensité grave du titre.
Je ne peux hélas pas en dire plus tellement l'intrigue est indéfinissable sans révélation trop directe mais sachez que le jeu nous étonne de chapitre en chapitre pour finir en beauté sur une symphonie lyrique et une révélation plus que surprenante qui en plus de cela met en évidence tous les multiples petites indices éparpillés dans le jeu (on en revient à l'incroyable souci du détail de Deadly Premonition). Tout n'est bien sûr par rose cependant avec une autre révélation moins enthousiasmante mais qui s'efface devant ce tableau réussi.

Finalement, les défauts techniques du titre parviennent presque à lui donner un certain cachet touchant qui s'ajoute à la patte artistique, mêlant sérieux, humour et kitsch, et en font, avec sa tonalité et son histoire, un jeu unique.


Techniquement et ludiquement dépassé, Deadly Premonition finit par s'imposer au joueur comme une aventure mémorable et unique grâce à sa délicieuse envie de faire beaucoup, à son souci du détail poussé, à ses personnages charismatiques et variés, à son cachet unique et à son scénario de haute volée. Inoubliable, Deadly Premonition est un vestige de l'entreprenariat ludique de passionné, une œuvre d'art que l'on déguste pour regretter de l'avoir terminée, un de ces jeux auquel on accroche sans explication malgré des débuts calamiteux, bref, un chef d'œuvre du jeu vidéo.
Foulcher
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le 28 janv. 2013

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Foulcher

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