Quand la Vita lévita et évita la gravité...

Pratiquement six mois après la sortie de la PS Vita, on continue à parler d'elle plus pour son manque flagrant de jeux marquants qu'autre chose. Ces débuts poussifs en arrivent même à occulter les capacités de la machine et il fallait bien un jeu comme Gravity Rush pour balayer d'un coup de pied gravitationnel tous ces préjugés de discussions de comptoir et prouver qu'avec la portable, on peut s'envoyer en l'air sans gravité. Oui, le changement, c'est maintenant. Premier véritable jeu novateur de la console de Sony, l'œuvre proposée par Keiichiro Toyama est une montagne de plaisir qu'on ne va pas réduire au silence. Loin de là même. C'est d'autant plus vrai quand on sait que Sony Japan vous propose de réaliser l'un des plus vieux rêves de l'homme : défier les lois de la gravité et voler en étant pris d'un sentiment de liberté inaltérable. Tout cela au creux de vos mains, le croyez-vous ?


Tout le monde veut être une Kat

Frustrés que nous étions de voir le titre perpétuellement reporté, au point de manquer le lancement de la console, il nous a fallu prendre notre mal en patience. Autant le dire de suite, même si l'enthousiasme qui se glisse entre les consonnes et les voyelles de ce début de test laisse peu de place au doute quant au verdict final, nous en sommes récompensés au centuple. Toyama avait confié avoir son projet en gestation depuis bien avant Silent Hill, inspiré par tout un monde d'artistes de tous horizons tels que Moebius. Tout cela s'en ressent dès les premiers instants de jeu où l'on fait connaissance avec notre héroïne, Kat, tombée de nulle part et complètement amnésique, ignorant le pourquoi du comment de sa présence sur la ville flottante de Hekseville. De son réveil va naître le binôme essentiel de l'aventure, celui qu'elle va former avec un chat à l'allure célesto-cosmique, nommé Poussière. L'animal va lui conférer quelques pouvoirs permettant de gérer avec une certaine aisance la gravité du monde qui l'entoure. C'est à partir de ce postulat de base que l'on va pouvoir s'envoyer en l'air gaiement et en toute volupté.

On va très vite rentrer dans le vif du sujet puisque Kat est rapidement appelée à l'aide suite à une attaque de Névis, des bestioles énergisées qui enveniment la vie des habitants de la ville volante. Pour les vaincre, il faut trouver leur point faible représenté par un bulbe phosphorescent généralement situé sur la face supérieure des ennemis. Afin d'amener un peu de diversité, tous les Névis ne sont pas identiques et, outre les boss, certains demanderont un certain doigté pour en venir à bout, notamment ceux dotés de carapaces protectrices. Nous y reviendrons quand nous aborderons la jouabilité si particulière de Gravity Rush.

La trame scénaristique est généralement présentée de façon assez insolite mais inoubliable, puisque nous nous trouvons face à une BD en pseudo-3D : on peut faire légèrement pivoter les cases grâce à la gyroscopie et passer de l'une à l'autre via l'écran tactile. L'interface est vraiment agréable, si bien qu'on se plait à rêver à des adaptations de comics ou autres avec ce procédé si naturel à la lecture et à la compréhension. On ne passe que très peu par des cinématiques, mais cela ne gêne aucunement tant l'on est happés par la narration, immersive à souhait.

Aux prémices de l'aventure, découpée en 21 chapitres, on constatera très vite que notre quête va nous amener à pérenniser la ville et à "recoller" les morceaux emportés par des tempêtes gravitationnelles capables de tout engouffrer et ceinturant littéralement Hekseville. Pour ce faire, Kat fera la rencontre de Gade, un "créateur" qui la propulsera dans des failles où notre héroïne devra venir à bout de Névis et notamment d'un maître des lieux de taille beaucoup plus imposante... Une fois le boss acnéique éclaté, on récupère un morceau de la ville qui nous ouvrira ainsi de nouvelles zones et nouveaux défis. Et ce n'est que le début.

Cependant, ne nous mentons pas, le scénario nous paraît parfois alambiqué même s'il demeure passionnant. Cette complexité narrative nous amènera cependant parfois à nous poser des questions quant à la véritable histoire de Kat, quelles sont les ficelles que l'on pourrait tirer à l'avenir et pourquoi on a affaire à tant de références symboliques. Cela commence par une cinématique où une pomme rouge tombée de nulle part serpente dans les rues pourtant nihilistes du point de départ. Cela se poursuit avec l'évocation des neuf vies de notre ami à quatre pattes et aussi du chemin initiatique entrepris par la protagoniste qui accepte avec candeur sa destinée et gravit (ou pas) l'arbre de la vie. D'autres saynètes distilleront ça et là quelques symboles et nous vous laissons le plaisir d'en faire votre propre interprétation car c'est également dans votre lecture personnelle que s'épanouira un pan de votre plaisir ludique.


Une bonne partie de jambes en l'air

Reposant en intégralité sur la malléabilité de la gravité, le rejeton du papa de Forbidden Siren a des allures de premiers tours de piste en vélo sans petites roues puisqu'il faut un peu de temps pour apprivoiser la bête avant de pleinement s'éclater avec une aisance à faire pleurer d'envie toutes les gravitéennes du monde. Il suffit ainsi d'une pression sur la gâchette R pour inverser la gravité et viser à l'aide du stick droit ou de la gyroscopie le point de chute, ou mieux le point d'ancrage sur n'importe quelle surface de la ville sans souci de tomber dans le vide. Enfin, sauf au moment où votre jauge de gravité sera totalement vide puisque votre pouvoir n'est pas activable indéfiniment, à moins de glaner des gemmes qui vous feront recouvrer l'entièreté de votre capacité. Sachez cependant que des gemmes parsèment toutes les zones et que vous pourrez échanger celles-ci contre des améliorations significatives des différentes aptitudes de Kat.

On peut ainsi rallonger sa barre de vie, ralentir le décompte de notre jauge de gravité ou en accélérer l'inversion, mais aussi améliorer tout ce qui a trait à vos dispositions au combat. La belle blonde en combinaison moulante dispose de coups spéciaux comme le coup de pied gravitationnel auquel viendront se greffer des pouvoirs plus agressifs comme le trou noir, le coup de pied cyclonique ou encore la pluie d'astéroïdes. Ajoutons à cela l'expansion du pouvoir du champ gravitationnel, la vitesse de glissade ou de l'esquive parfois utile contre certains boss.

La présence de ce léger aspect emprunté au jeu de rôle n'est pas pour nous déplaire puisqu'il permet de s'identifier encore plus à notre personnage, mais aussi d'avoir une approche unique selon les capacités que l'on décide d'upgrader. Cependant, sachez qu'il sera tout à fait aisé d'obtenir le maximum dans chacune des catégories puisque la récolte des gemmes devient rapidement une véritable sinécure et que l'on se plaît à gambader dans les moindres recoins de la ville et des autres environnements en quête de ces pierres précieuses violettes. Pourquoi ? Tout simplement parce que Gravity Rush évite les écueils d'un titre à monde ouvert trop dirigiste et nous laisse le temps de progresser à notre rythme et notre envie. Regorgeant de petits passages que l'on découvrira pour certains même une fois le jeu fini, preuve d'un souci du détail flagrant, le titre de Sony Japan ne force pas à gober à la va-vite le repas proposé.

Surtout que même si on prend grand plaisir à batifoler avec Kat, on ne rencontre aucune réelle difficulté à enchaîner les chapitres, notamment à cause de l'impossibilité de mourir lors des séquences d'exploration ou d'adversaires qui s'avèrent peu retors une fois la gravité maîtrisée, et parfois même avant. Ce manque de challenge se ressentira jusqu'à la fin et l'on se dit que l'on est tributaire de l'évolution du médium vers une accessibilité poussée de façon trop générale, alors que l'on aimerait que certains développeurs fassent preuve de plus d'égoïsme.


In the Névi !

Là où Gravity Rush frappe fort, c'est au niveau de la direction artistique qui nous met une grande claque. Cela fait bien longtemps que nous n'avions pas eu un tel univers à la fois aussi inspiré qu'assumé et on prend son pied. Le cel-shading adopté en style graphique colle parfaitement au jeu et donne un ton et une identité propre à chaque coin de la ville. Véritable pépite visuelle, la PS Vita voit dans la production nippone un truc capable de la mettre en apesanteur. Pas d'aliasing, pas de ralentissement, tout n'est que pure caresse de la rétine et ce melting-pot entre culture nippone et occidentale tourne ma foi plutôt bien. Le seul reproche que l'on pourrait éventuellement faire reste une ambiance parfois trop oppressante dans la première partie d'Hekseville, mais l'impression sera par la suite dissipée au fur et à mesure de la progression puisque chaque parcelle que l'on recolle apporte sa touche personnelle. Continuons avec les aspects touchant à l'artistique avec la musique qui est sertie dans la production de façon on ne peut plus naturelle. Allant dans des élans jazzy, ou vers un rythme plus soutenu lors de combats, mais également vers quelque chose de plus formaté et nippon parfois, chaque zone dispose de son accompagnement musical qui caresse le jeu comme les doigts d'un Petrucciani les touches d'un piano.

Contrairement à certains jeux qui se sentent comme obligés d'user et d'abuser des spécificités de la console portable de Sony, la production de Toyama opte pour un usage parcimonieux et assez naturel, les glissades gravitationnelles mises à part (on y reviendra à ces fichues cascades). L'écran tactile n'a que très peu d'utilisation au sein même de l'action puisqu'il permet de lancer une esquive du côté vers lequel on aura fait glisser notre petit doigt, de passer d'une case de BD à une autre ou encore de tapoter le postérieur de notre héroïne (si, si, essayez !). Le pavé tactile arrière est quant à lui tout simplement oublié puisque les développeurs se sont surtout focalisés sur la gestion de la gyroscopie avec ses avantages et ses inconvénients. Immersive à souhait, elle permet notamment de profiter de l'espace que l'on peut avoir autour de soi pour s'éclater à foncer sur les Névis rien qu'en bougeant la console. Certes, cette configuration montrera ses limites dans le métro à moins de vouloir passer pour un fou et de faire la quête pour le spectacle édifiant que vous aurez proposé à vos compagnons de fortune. Cependant, si la gyroscopie se défend dans un environnement calme, il faut bien avouer que dans le feu de l'action, viser juste sera au départ comme tenter de gober un Flanby en plein Grand 8 les yeux fermés et les mains attachées. Le temps d'adaptation sera bien présent, mais une fois le "permis gravité passé avec succès", à vous les acrobaties aériennes.

Autre zone d'ombre de la gyroscopie, elle est également utilisée pour les glissades gravitationnelles déjà évoquées dans ce test. Cette technique consiste à glisser pour gagner du temps et est principalement mise en avant dans les divers défis distillés dans la ville et qui permettent de collecter des gemmes supplémentaires. Bref, nous y reviendrons, mais il est pénible de prendre en main lesdites glissades via la gyroscopie de la PS Vita car elle se révèle peu maniable pour cause d'une trop grande rigidité. On aurait aimé pouvoir ajuster la sensibilité afin que l'on puisse trouver chaussure à notre pied. Enfin, plutôt moufles à nos mains mais vous aurez fait de vous-même la rectification.

Puisque nous en sommes à énumérer les défauts du jeu, la caméra risque d'en agacer plus d'un car on perd parfois le fil de l'action vu qu'elle ne suit pas impeccablement les moindres faits et gestes de Kat. Rien de traumatisant au niveau de l'expérience finale sur la durée totale du jeu, mais il reste des progrès à faire sur ce point précis. Tout comme sur les temps de chargement parfois longuets pour peu que l'on décide de relancer un défi ou qu'on meure contre un boss. En 2012, c'est malheureux d'avoir le temps de retourner le sablier quinze fois en regardant le symbole du chargement s'éterniser dans son animation.


La preuve par Kat

Qui dit jeu à monde ouvert dit forcément liberté d'action et de mouvement. Nous l'avons expliqué, Gravity Rush permet une progression à son rythme au niveau de la narration principale. Entre chaque chapitre, libre à vous de voler de zone en zone à la recherche de gemmes – l'exercice s'avère particulièrement addictif – ou encore afin de parler à certaines personnes récurrentes comme la voyante ou des étudiants. Mais ce n'est pas tout puisque des défis parsèment le jeu et vous proposent quelques séquences variées. Pour les activer, il suffit d'échanger des gemmes pour remettre en service des coins de la ville jusque-là inactifs. Au niveau des challenges proposés, on retrouve par exemple le fait de tuer un maximum de Névis en un temps donné, parcourir un tracé de checkpoint en checkpoint en ne se servant que de la glissade gravitationnelle, tenter de battre des records de vitesse sans jauge de gravité ou bien encore balancer le plus d'objets possible à l'aide du champ gravitationnel. Bref, il faudra décrocher la médaille d'or, d'argent ou de bronze pour s'octroyer quelque pécule supplémentaire toujours dans l'optique de faire monter son niveau. Ces défis permettent de briser la monotonie qu'aurait pu éventuellement apporter l'enchainement des chapitres et ils sont les bienvenus puisqu'ils rallongent la durée de vie et donnent un peu de challenge aux collectionneurs de trophées.

Niveau durée de vie, comptez une dizaine d'heures pour terminer l'aventure principale et ajoutez-en une ou deux autres pour débloquer tous les trophées si vous visez le platine. Cela peut paraitre un peu faiblard, surtout que le taux de rejouabilité est quasi-nul dans l'immédiat et qu'il faudra s'appuyer sur du contenu additionnel payant pour s'offrir une partie de jambes en l'air supplémentaire. Même joueur joue encore ? A voir si cela se révèle suffisamment intéressant pour en justifier l'acquisition...

Note finale
9 / 10

Si tu n'as pas joué à Gravity Rush, tu as raté ta Vita. Beau comme un dieu, inspiré par une muse qu'on aimerait connaitre, le bébé a de solides atouts. S'il reste bien des mystères non éclaircis à la fin du jeu, il est un fait qui est aussi limpide que de l'eau de roche : Gravity Rush a tout pour devenir l'une des nouvelles coqueluches de Sony. Si la firme réussit le pari de garder en équilibre le plaisir de jeu, le scénario riche et le gameplay aux petits oignons tout en rectifiant le tir sur certains points précis comme la caméra ou la gyroscopie, on pourra sans risque rusher à nouveau vers la gravité. Toyama nous prouve de fort belle manière que le Japon peut s'immiscer dans les productions de jeux à monde ouvert et que l'on va pouvoir compter sur ces artistes dans le futur. Oh oui, a-t-on envie de dire tant ce titre nous marque et marquera la PS Vita ! Coup de cœur garanti de ce premier semestre de l'année 2012.
Angel
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes LiveGen d'Or, Coup de Coeur LiveGen.fr et 2012, fin du monde pour mon banquier

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le 25 juin 2012

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Angel

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