Je n'ai lu que très récemment cet essai à la popularité étonnante, qui a même dépassé nos frontières. Qu'en ai-je retiré, me direz-vous ? Pas grand chose. Si je lui ai mis cette note, c'est que les grands thèmes et les idées qui y sont décrits correspondent pour la plupart aux miennes, et qu'il est toujours bon de rappeler des principes d'humanisme dans un monde où celui-ci n'est plus tellement en odeur de sainteté. On pourrait reprocher à l'auteur d'enfoncer des portes ouvertes, je réponds que ces principes, il y a VRAIMENT des gens qui les ont totalement zappés, au nom du progrès, du fric ou de l'ambition, et que sais-je encore, y compris dans les hautes sphères de l'Etat.
Ceci étant dit, ce bouquin a tout de même quelques défauts, à savoir un intérêt et une portée assez limités (en ce qui me concerne), dus à un nombre de pages assez risible. Trop court donc, et en conséquence, pas assez développé. Même une petite vingtaine de pages de plus n'auraient pas été de trop pour appuyer davantage là où ça fait mal, donner des exemples implacables. On reste sur notre faim, et l'on en ressort habité par une impression de flottement, et "hanté" d'interrogations qu'une simple réflexion personnelle sur le monde actuel suffit à éveiller ; ce que je veux dire, c'est que ce livre n'est pas forcément nécessaire pour se poser ces questions, donc dispensable. Le souhait de Hessel était-il uniquement celui de jeter un pavé dans la mare ? Bon, bah plouf alors. Mais l'on est guère plus avancé.

Sur le papier en effet, tout cela parait très bien, très réfléchi. Mais concrètement, toutes les pourritures du capitalisme doivent-ils craindre ce monsieur un peu âgé qui sort de sa retraite en exhortant les gens à s'indigner ? Hessel semble en effet plaider pour une résistance passive, une révolution non-violente (discours un peu paradoxal pour un ancien résistant ?). Sans doute suis-je un peu trop pessimiste, mais je n'arrive pas à envisager que ce genre de choses soient possibles... Et croyez-moi, j'aimerais sincèrement qu'elles le soient ! Imaginons un instant 1000 personnes défilant dans la rue pendant plusieurs heures, jusqu'à ce qu'un car de CRS débarque pour renvoyer tout ce petit monde chez lui. Que faudra-t-il faire alors ? Tendre l'autre joue, tel Jésus Christ ? Supporter les coups de matraque si ça dégénère, pisser le sang avec un sourire édenté et les doigts en forme de "V" ?
Autre gros soucis logistique : créer un mouvement national. L'indignation "pacifique" ne pourrait fonctionner qu'en cas de très forte mobilisation (rien que la moitié du pays, ce serait déjà énorme...), qui entrainerait une paralysie de la société apte à poser de sérieux ennuis à un quelconque gouvernement. Je ne peux m'empêcher d'y voir un mélange de naïveté et d'utopie, car, hélas, les moutons, les satisfaits, et / ou les indifférents sont légion. "On s'indigne demain ?" - "Je sais pas, ça me les brise un peu, je vais louper ma grasse mat'...".
Dernier problème, mais pas des moindres, car il est finalement l'outil de peur qui empêcherait tout cela de se réaliser : l'argent. Oui, le système nous tient par les couilles avec le fric, ce fabuleux moyen de liberté et, à la fois, d'emprisonnement passif. Depuis des décennies, la société capitaliste anesthésie des révoltes légitimes à coups de billets verts et parvient même à convaincre le plus grand nombre qu'ils sont heureux comme ça, que c'est normal. L'argent est l'enfant-roi, le pourri-gâté, la récompense ultime, le Graal qui fait chialer les yeux des pauvres et donne la banane et tous les droits à ceux qui en ont. Si les grèves s'essoufflent, c'est uniquement à cause de cette peur insupportable de ne plus pouvoir bouffer à la fin du mois. Alors chacun regagne sa cahute pour digérer une énième humiliation, et nos 1000 indignés, au bout de quelques jours d'euphorie, ne seront pas en reste. J'en conclus que pour qu'une révolte fonctionne, il faudrait qu'elle vienne de ceux qui ont de l'argent... J'ai comme un doute, car eux n'ont pas à se plaindre de tout cela dans leur univers doré. CQFD.

Si je n'avais qu'une chose à dire à Monsieur Hessel, c'est que je partage ses idées, mais que ce que j'attendrais de lui, et d'autres avant lui, c'est de se donner, et de nous donner les moyens de les appliquer. Sans mensonges, sans entourloupes, sans démagogie... Juste l'intérêt commun. D'avance, merci !
Psychedeclic
6
Écrit par

Créée

le 1 juin 2011

Critique lue 722 fois

3 j'aime

2 commentaires

Psychedeclic

Écrit par

Critique lue 722 fois

3
2

D'autres avis sur Indignez-vous !

Indignez-vous !
beebee
3

L'indignation... et après ?

Un vieux monsieur très digne (93 ans, résistant de la première heure, ambassadeur à l'ONU), qui a connu d'autres messieurs très sages (Maurice Merleau-Ponty, Jean-Paul Sartre), nous rappelle que...

le 25 déc. 2010

74 j'aime

22

Indignez-vous !
MrShuffle
3

Devoir de français : "Mettez-vous à la place d'un résistant et donnez votre avis sur le monde"

Très bien, Kevin. Bien documenté, français correct, argumentaire lisible. Attention tout de même, la conclusion manque de consistance et d'ouverture. 15/20 (meilleure note de la classe). Passage en...

le 26 avr. 2011

54 j'aime

24

Indignez-vous !
Andy-Capet
1

Le père castor des lieux communs

Grâce à ce monsieur qui porte un nom de dessous de bras, nous savons enfin que l'indignation est le degré zéro de la conviction. L'indignation suppose en elle un constat à réprouver moralement. Or,...

le 2 mars 2013

42 j'aime

61

Du même critique

Disintegration
Psychedeclic
10

Le meilleur album des Cure

1988. Année calme pour les Cure : Le « Kissing tour » se termine, et il fut couronné de succès. Le groupe est devenu une figure majeure de la scène musicale internationale, à tel point que l'on parle...

le 22 déc. 2011

70 j'aime

5

Fenêtre sur cour
Psychedeclic
5

Simple vitrage

J'ai trouvé "Fenêtre sur cour" vraiment décevant... Mais il ne faudrait pas le dire, parce que vous comprenez, c'est du Hitchcock. C'est pourtant une oeuvre qui a extrêmement mal vieilli. Pendant...

le 16 oct. 2010

57 j'aime

16

Les Valseuses
Psychedeclic
5

Ca bande mou

Je vais finir par croire que j'ai un problème avec les films dits "cultes". En voici encore un encensé par la plupart des gens qui ne m'a que moyennement convaincu, même si je comprends bien pourquoi...

le 7 juin 2011

52 j'aime

3