La Route
7.5
La Route

livre de Cormac McCarthy (2006)

« He thought the month was October but he wasnt sure. »

Cormac McCARTHY est un auteur que ces dernières années ont permis d'imposer hors de ses frontières à un public autre qu'averti ou amateur de littérature noire. Fichtre, The Road s'est même retrouvé hâpé par les centrales d'achats et affiché dans les hypermarchés, dans un paradoxe culturel que je ne m'explique pas, entre les boîtes de petits pois et les escalopes surgelées.
McCARTHY, donc, dont le prix Pulitzer aura offert aux lumières du Grand Public.

« The Road » est son dernier [court] roman. Le récit monochrome d'un exil sans but, d'un homme sans nom et de son fils, cherchant un salut qu'ils ne trouveront jamais. L'errance, dans un monde vitrifié, atomisé, pulvérisé, incendié, intoxiqué. Mort.
De la fin du monde : on ne sait pas grand-chose. Elle est arrivée, c'est tout. Et une poignée d'humains ont survécus. Une maigre poignée, déjà à l'article de la mort.
« The Road » démarre sur ces derniers spasmes.

« Along the interstate in the distance long lines of charred and rusting cars. [...] The incinerate corpses shrunk to the size of a child and propped on the bare springs of the seats. Ten thousand dreams ensepulchred within their crozzled hearts. »

Lire « The Road » provoque successivement deux sentiments étranges : durant une première grosse moitié, on doute de la pertinence du parti pris. On trouve le contexte un peu pauvre ; l'histoire très linéaire. Le propos un peu vain. L'exécution facile.
Puis vient le deuxième effet: Cormac McCARTHY a une idée en tête. Précise. Et il utilise de tous les moyens à sa portée pour nous transmettre son message. Le fond. Et la forme.

Alors, de la forme, parlons-en :
À nos amis mélomanes, je dirai que « The Road » est une sorte d'Autechre littéraire [on parlera de Kraftwerk pour les vétérans]. Un roman d'apparence monolithique ; tout en découpes très fines, concaténées les unes aux autres. Des ambiances gelées. Une approche très mécanique et dépouillée.
McCARTHY se sépare de toute structure alambiquée : exit les chapitres et la ponctuation propre aux dialogues. Exit les fioritures dans la langue [les apostrophes dans les négations]. Exit le nom des personnages qui parlent. D'ailleurs, quand ceux-ci parlent, leurs phrases ne dépassent jamais les quelques mots. On se balade sur une frontière très dérangeante, où les personnages parlent encore... Mais si peu. De manière si glaciale.

Enfin, McCARTHY reprend les codes du roman apocalyptique tout en supprimant toute couleur. Ici, pas de sang ni de boyaux : les cadavres restants sont desséchés ; leurs chairs craquantes. Le ciel est définitivement gris de poussière et le soleil à peine visible.
Et cette route. La route pour unique repère d'un père agonisant et de son fils à protéger à tout prix.

Dès les premières pages, nous devinons l'issue du récit. Les pages restantes deviennent un compte à rebours pour les héros. Et le lecteur cherche malgré tout à espérer. Chercher un twist là où il n'y a évidemment pas. Ce lecteur là [moi] n'a donc rien compris.

Le roman dans son entier se trouve alors un écho dans le titre : une route. Une ligne droite vers la mort.

« Is it Okay ?
Yeah. It's Okay.
Does it hurt ?
Yes. It hurts. »

Problème : à qui peut plaire ce genre de romans ?
À l'époque, à la sortie de la VO, j'étais convaincu que The Road rebuterait par son austérité. J'avoue avoir sous-estimé, je ne sais pas, quelque chose chez le Grand Public comme une fibre apocalyptique ou un besoin de brutalité littéraire. C'est curieux. C'est aussi une bonne nouvelle.
Je veux dire : déjà, ceux qui ne voient dans la SF qu'une littérature d'évasion sont déjà repartis lire des récits militaro-nationalistes plus ou moins [pro-]ricains ; les petites filles ont rouvert leur MARCHIKA [yeah] et leur grande sœur un HAMBLY. Les jeunes mâles regardent un match de foot. Les adultes, quant à eux ; les vrais, ceux avec des responsabilités, n'ont même pas lu cette chronique jusqu'ici [on se casse vraiment le cul pour rien]. Bon.
Indice: les lecteurs n'ont pas vu une dimension fictive que prémonitoire. Nous avons, semble-t-il ressorti la doom's day clock et minuit approche.

« Are you one of the good guys ? »

Croisement qu'on aurait pu croire improbable entre le désespoir apocalyptique d'un K.W. JETER et la poésie amère d'un Christopher PRIEST ; froid, minimaliste jusque dans sa structure narative.

McCARTHY nous propose, avec « The Road », une parabole sur notre peur en l'avenir où tout espoir se couvre de cendres.


(reprise/edit de ma chronique précédemment parue sur le Cafard Cosmique)
Daylon
8
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Créée

le 1 oct. 2010

Critique lue 1.2K fois

5 j'aime

Daylon

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