Le prologue de La Théorie des Cordes est parfaitement réussi. Ces quelques pages d’horreur et de suspens introduisent parfaitement l’intrigue, et le lecteur ne peut que s’agripper au livre. Après cette excellente entrée en matière, on reconnaîtra l’atout principal de l’auteur : c’est un conteur moderne, rompu à l’art d’attirer et de retenir l’attention du lecteur dès la première page.
Sur cette introduction, l’écriture est franche, sans être trop simple.

Ces premières pages tournées, le récit s’étire; la fuite d’Elisa, puis le début de son histoire : que s’est-il passé sur l’île dix ans auparavant ? Chapitres interminables, détails et dialogues qui pèsent sur le rythme. On revient sur ses impressions premières : l’art du suspens doit tenir aussi sur la longueur. Avant la moitié du livre -300 pages, tout de même-, on ne saurait dire où l’on va, et surtout si l’on tient vraiment à y aller. On s’obstine à tourner les pages.
Sur la deuxième moitié, le puzzle se met lentement en place, on commence à accorder les morceaux. L’intrigue, palpitante, reprend seulement à partir de là, justifiant la lente et laborieuse première partie.

Je passerai sur les trop nombreuses descriptions du physique de l’héroïne, une physicienne aventurière « dotée d’un visage et d’un corps qui n’auraient pas détonné sur la couverture d’un magazine de mode » (p.18), et sur les paragraphes consacrés à l’effet de ce corps sur les scientifiques qui la croisent.
Je reproche toujours aux récits modernes leur manque de travail sur les personnages, et le peu de détails consacrés à la justification, même discrète, de leurs actions et réactions. Ici, on s’attarde à peine sur la relation d’Elisa avec sa mère -son père est mort dans un accident de la route-, éloignant ainsi le lecteur de toute empathie. Elisa pouvait mourir sur la fin du roman, on pouvait laisser la place à un autre personnage au bout de 200 pages et nous trouver un autre héros : la lecture aurait été la même. Ce qui compte dans ces romans à intrigue, c’est … l’intrigue.
Et ce n’est pas assez pour moi.

Je dois avouer n’avoir lu que très peu de thrillers contemporains. Pourquoi ? Parce que beaucoup de ces thrillers sont écrits par des maîtres du suspens, mais qui ne sont maîtres que dans la construction de récit : le style, repoussé au deuxième rang, est largement délaissé. La faute, peut-être, à une traduction curieusement inégale; à quelques beaux passages succèdent des phrases incompréhensibles : « La salle de bains disposait de l’espace indispensable pour que ses genoux ne touchent pas le mur quand elle s’asseyait sur les toilettes, mais cela ne l’empêcha pas de juger délicieuse, à la bonne température, l’eau qui tomba sur son corps dans le carré en métal dépourvu de rideau. » (p. 197)

Je crois que le roman tient ses promesses, et l’intrigue principale est ficelée avec soin.
Mais cette lecture du roman de Somoza renforce malheureusement ma mauvaise opinion des thrillers modernes : le sacrifice du style et de la langue, au profit de l’efficacité d’un récit.
L’équivalent du blockbuster fainéant, qui parie sur ses effets plutôt que sur l’exploitation subtile d’un scénario original.
Sarah_Beaulieu
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le 20 févr. 2014

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Sarah Beaulieu

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