Je suis venu à ce livre parce que la psychomotricienne de mon fils me l’a conseillé. Jamais, sans cette circonstance, je n’aurais probablement ouvert ce roman. En effet, mon fils serait peut-être atteint d’un syndrome Asperger (léger, dieu merci). A aucun moment, dans le livre, il n’est question d’Asperger. Ne connaissant pas (encore) bien le sujet, je ne peux donc dire de quel trouble il est exactement question dans ce roman, mais assurément, c’est un trouble de nature autistique.


Quoi qu’il en soit, et bien entendu sans tout révéler, il s’agit d’un roman dans lequel le narrateur est un garçon un peu particulier qui nous raconte un épisode de sa vie sous la forme d’un roman qu’il écrit, car on lui a dit que c’était bien pour lui. Mais l’étrangeté est là dès le début du roman. Avant même d’avoir commencé la première phrase, il y a quelque chose de bizarre : le premier chapitre est marqué comme le numéro 2. Tu rages puis tu regardes un peu plus loin si le deuxième chapitre est bien numéroté, mais non, c’est le 3. Tu pestes contre l’éditeur en feuilletant les pages avant de t’apercevoir que les chapitres suivants sont numérotés 5 puis 7. C’est quoi ce bordel ? Je ne vous donne pas la réponse. Si vraiment vous ne supportez pas d’attendre, allez voir au chapitre n°19 (qui est en fait le huitième). Le reste de l’ouvrage sera aussi un peu original, avec des représentations diverses et variées, notamment des plans, des équations, pour nous permettre de mieux appréhender l’univers intellectuel du jeune homme…


Celui-ci raconte ici, froidement, son enquête pour retrouver l’assassin d’un chien éliminé à l’aide d’une fourche, recherches qui vont l’amener à mieux comprendre sa situation familiale, difficile à la suite de la séparation de ses parents. On se retrouve un peu dans la tête de cet ado, on suit ses raisonnements, ses inquiétudes, ses rigidités. Son personnage est difficile à appréhender tant il diffère de nous : il raisonne comme un enquêteur des « experts », avec une logique, une rationalité, une froideur qui dérange chez un enfant. Il ressent tout de même des émotions, mais celles-ci le submergent souvent.


Sur le plan littéraire, il n’y a là rien d’extraordinaire, ce n’est pas particulièrement bien écrit, mais là n’est pas l’essentiel, de ce roman émane tout de même une certaine puissance, une capacité à nous faire comprendre un peu mieux ce que peuvent vivre certaines personnes souffrant de ce genre de trouble (et ce que peuvent vivre aussi leurs proches). Une puissance qui nous amène à voir encore davantage l’Autre, et notamment celui qui est très différent de nous, avec un regard bienveillant et compréhensif : on ressent mieux la nécessité de regarder l’autre sans le rejeter d’abord, d’essayer de le comprendre, de mieux connaître, dans certains cas, ses processus « neuro-cognitifs » (là je ne suis pas trop sûr du terme…)


Je me suis demandé si, pour être si juste, Mark Haddon n’était pas lui-même autiste. A ce que j’ai pu lire sur lui, ce n’est semble-t-il pas le cas, mais cela rend d’autant plus remarquable ce roman qui semble décrire avec une grande justesse le quotidien d’un ado autiste (même si je sais qu’il y a de très nombreuses variétés d’autisme). Il nous permet ainsi pénétrer le fonctionnement d’un jeune touché par ce qui pourrait être le syndrome Asperger, ses façons de voir le monde et de le comprendre. Le jeune en question dans le livre est rationnel à l’extrême, tout doit être dans l’ordre, logique, il ne peut y avoir d’imprévu, on doit respecter les horaires à la minutes… Il adore les maths et les sciences, car il y a toujours une réponse claire et logique. L’inconnu, le choix ou le moindre changement provoquent en lui une forte angoisse. Il a de plus de nombreuses difficultés dans ses rapports aux autres : il ne supporte pas le contact physique et surtout ne peut comprendre la communication non-verbale ou les métaphores. Il a sans cesse besoin d’être rassuré, et il apprécie les animaux de compagnie, qui sont fidèles, ne mentent pas, eux, et ont un comportement prévisible.


Ce livre est terrifiant dans le sens où l’on comprend mieux ce que peuvent vivre certaines personnes touchées par ce genre de trouble, mais Mark Haddon parvient aussi à nous faire sourire régulièrement par exemple lors de ce passage ou le jeune démonte les propos du pasteur, en affirmant que le paradis ne peut être dans notre univers, puisque ce ne serait évidemment possible que si l’on traversait un trou noir…


Bref, une lecture qui peut permettre d’un peu mieux comprendre les fonctionnements un peu particuliers de certaines personnes que nous pouvons côtoyer, de près ou de loin. Ca n’est pas rien.

socrate
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le 6 mai 2015

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socrate

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