Le Dahlia noir
7.7
Le Dahlia noir

livre de James Ellroy (1987)

Obsession. Dévastation. Et toujours, chercher la femme.

"Le Dahlia Noir" est un chef-d'oeuvre.
C'est le bouquin qui te fera vivre Los Angeles en 1947. C'est le bouquin qui te mettra dans la peau d'un flic fort-fragile, ancien boxeur aux dents de lapins. Un flic qui est bercé par la violence, la brutalité et tout ce qui peut se rattacher à l'obsessionnel. C'est le bouquin qui te fera connaître une nouvelle fois l'amitié, le désir et toujours, plus fort que le reste, la vengeance et la désolation.
Qu'est-ce que ce bouquin, vraiment? La meilleure intrigue policière jamais lue? Certainement pas. Le roman noir le mieux écrit de tous les temps? Certainement pas. Mais c'est certainement un des récits les plus vivants qu'il m'ait été donné de lire. Prenons le temps d'en détailler les quelques caractéristiques qui en font un trou noir de la littérature, sorte d'entité qui aspire tout ce qui a été fait dans le roman noir moderne, le digère sans concession et en recrache une ôde à la rédemption et autres variations autour de la brutalité insensible d'un réel morcelé.
C'est tout d'abord des personnages, "Le Dahlia Noir". Bucky Bleichert, narrateur qui nous entraine dans son quotidien incroyablement bancal. Le dahlia, c'est l'alumette qui allume la mèche, c'est cette femme-totem autour de laquelle il tourne en permanence, peinant à s'en rapprocher. C'est ce mythe qu'il veut comprendre, c'est grace à elle et à cause d'elle que Bleichert se retrouve torturé au coeur d'une affaire qui est personnelle au possible. Ses doutes et sa vivacité d'esprit sont retranscrits de manière magistrale, et il devient éprouvant pour le lecteur de vivre cette vie qui se ravage au gré des pages, tant l'identification est intégrale, parfaite. Lee Blanchard, que j'ai clairement adoré dans ce bouquin. Sorte de personnage qui ne se dévoilera que par le biais de Bucky, coéquipier aux antipodes, Mr Ice et Mr Fire. Deux anciens boxeurs qui flirtent avec les fantômes, qui ne rencontrent la violence qu'en grande pompe. La demi-mesure n'existe pas dans ce Los Angeles de 1947 où chaque coin de rue regorge d'histoires sordides et d'esprits malades. Le passé marche sur les pieds du présent, tandis que le futur semble perpétuellement aux abonnés absents dans cette ville qui vibre aux récits de l'ambition passée d'une femme torturée puis sauvagement assassinée.
On a bien du mal à percevoir un brin de lumière dans ce bouquin étouffant où l'immersion du lecteur est sans limite. Et c'est là le talent d'Ellroy. On a rarement vu de réalisme aussi poussé dans la littérature policière/noire, et je pense qu'il n'est pas abusé de mettre "Le Dahlia Noir" en tête de file d'une "grande littérature", une littérature qui mêle le policier comme le roman historique, une littérature qui au final, se contente de raconter la vie.
Le style de l'auteur est excellent, d'une finesse chirurgicale. Le travail sur les dialogues est juste hallucinant, et on peut applaudir longtemps cet univers cohérent et désespéré qui se déploie petit à petit sur 500 pages.
Mais ne soyons pas aveuglés par la haute qualité du roman, puisque l'on peut reprocher certaines choses à cette oeuvre majeure du genre. La première, c'est le dernier tiers du bouquin, globalement. Si les 300 premières pages sont parfaites, il me semble que le bouquin prend une tournure assez étrange sur sa dernière partie. Si le séjour au Mexique est sublime, cette espèce de surdénouement de l'affaire est pénible. Comme si Ellroy, pour définitivement ancrer son bouquin dans la littérature policière, se sentait obligé de trouver une raison pour tout ce qu'il a décrit. Comme si ses personnages se devaient d'avoir un motif relatif au dahlia pour subsister. On assiste donc à une dégénérescence de l'intrigue, qui délaisse l'atmosphère pour s'enticher d'une complexité folle, qui, il faut le dire, transforme le meurtre du dahlia noire en conséquence d'un effet papillon de mauvais goût.
Je trouve cela grotesque, le livre perdant de sa saveur et de sa cohérence, sans pour autant en regretter la lecture (bien heureusement, cela aurait été tragique!). C'est juste extrêmement dommage. Il en reste une intrigue sacrément bien ficelée, malheureusement métastasée de vrais rebondissements, réussis mais inutiles...
Je glisserai simplement mes dernières félicitations au travail sur la femme, la Femme, le Dahlia, l'amante, le mythe, la voie salutaire ou le couperet tranchant...Ellroy fait ici la catharsis d'une époque, un monde où les hommes sont virils, sortes de brutes complètement cramées par la guerre, qui cherche chez les putes un moyen de fermer les yeux. Ellroy est excellent dans son propos.
On ne va pas se mentir, "Le Dahlia Noir" est un immense coup de coeur, une réussite que je trouve pour ma part quasi-absolue. Alors évidemment, cela m'a donné envie de lire le reste du quatuor de Los Angeles, car ils sont rares ces moments où un livre vous sidère par sa puissance, vous travaille au corps comme un mi-lourd rêvant de promotions. Un grand bravo à Ellroy, auteur qui m'a l'air sacrément bizarre, et surtout sacrément talentueux.
Wazlib
10
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Créée

le 22 mai 2015

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