Dépeignant l'Amour non pas comme une passion, mais comme une maladie à l'issue fatale ("mon enfant est mort", sentence péniblement ressassée une myriade de fois au cours de la nouvelle), Zweig met sur papier l'un des faux écrits autobiographiques les plus persuasifs offerts à la littérature contemporaine, en cela qu'il incarne, au travers d'un récit épistolaire simplet et aussi savamment rythmé que l'écriture de Duras dans L'Amant, la femme éperdument éprise et damnée. Si beaucoup s'y seront essayés par la suite (on notera L'herbe bleue, catastrophe aux semblants de campagne publicitaire anti-drogue), peu auront réussi à creuser jusqu'à atteindre la substantifique moelle de ce délicat exercice. L'Inconnue de Zweig, loin d'être une péronnelle, est pourtant confrontée à toute la sensibilité féminine, de sa tendre adolescence volée par l'écart d'âge et l'innocence asexuelle, jusqu'à la douleur d'être mère célibataire. Le cador de la séduction auquel elle consacre sa vie n'est autre qu'un irrévérencieux sybarite, hédoniste inconscient jouant de son charme naturel pour se moquer des femmes qu'il piège. Zweig expose ainsi l'Arlésienne représentant cet amour fuyant, qui jamais n'est venu, en se servant de l'équilibre complexe entre disparités naturelles de genres et misogynie institutionnalisée, aux apparences fallacieusement douces. L'Amour est mort, l'Avenir (l'enfant) l'est aussi, au même titre que la Mère, créatrice et porteuse.
Note : cet écrit devrait être offert très tôt à la lecture académique ; lorsque l'on porte attention à la considération actuelle de la jeunesse pour les sentiments, les émotions, il semble que le nihilisme mal dosé prenne le dessus, et la compréhension, la compassion, l'altruisme s'effacent pour laisser place à une néfaste neutralité.