Le dernier jour d'un condamné
Sulfureux Lolita?
c’est le moins que l’on puisse dire, Humbert Humbert le narrateur ne s’en cache pas.
Scandaleuse? l’histoire l’est forcément quand on parle d’amour et de sexualité entre un adulte et une enfant de 12 ans.
J’ai d’ailleurs longtemps eu du mal à comprendre comment ce genre d’histoire pouvait donner un chef d’œuvre multi-ensencé (les gens seraient-ils tous de gras pervers pédophiles?).
Mais l’écriture est tellement belle, d’un style fluide, racé et enlevé qu’on tombe tout de suite sous le charme des mots. J’ai lu que l’auteur était très attentif aux différentes traductions de son œuvre: je le comprends et je regrette de ne pouvoir le lire dans sa version d’origine, parce que certaines phrases sont si belles qu’on se demande si le traducteur a ajouté sa touche ou au contraire s’il n’en a pas un peu oublié. (un jour si je deviens assez forte en anglais, dans une autre vie, quand j’aurais du temps à perdre, et à utiliser plus intelligemment qu’aujourd’hui…)
Puis on rencontre notre anti-héros/narrateur: Humbert Humbert: il explique avec simplicité et lucidité le mal qui le ronge, il ne nie pas que ses pulsions sont anormales et répréhensibles. On se dit qu’il n’est pas totalement perdu.
Simplement l’immersion dans la psychologie du personnage nous rend son comportement plus acceptable, pire, on se retrouve à ressentir à travers lui une attirance pour la fameuse Lolita.
Comment Nabokov arrive-t-il à nous donner cette sensation avec de simples mots? C’est un mystère, mais en attendant le roman se déguste comme du petit lait (à ceci près que j’ai horreur du lait).
Ça se savoure, mais comme pour le lait ça a un arrière goût nauséabond, et en même temps qu’on admire le style, en même temps qu’on comprend bien l’évolution du personnage, on assiste impuissant à la relation entre un adulte et une enfant, on nous en dit toujours juste ce qu’il faut pour permettre à notre imagination de bosser, juste la dose adéquate pour nous heurter sans être totalement dégouté, et pourtant c’est pire. Comme certaines pubs de la sécurité routière qui arrivent à nous choquer sans montrer une seule image d’accident, supplément en les suggérant.
La grande réussite de Lolita c’est de savoir nous intéresser à une histoire abjecte, et de nous émouvoir, nous rendant presque sympathique un héros pourtant parfaitement haïssable, et n’essayant pas non plus de faire passer Lolita ni pour une blanche colombe, ni pour la parfaite petite allumeuse. Et puis dans sa deuxième partie, le livre joue avec son héros, qui devient proprement abject: plus on avance et plus on se rend compte de son esprit dérangé, du fait qu’on ne connait pas Lolita, on ne sait plus où on va.
Le roman joue sans cesse sur l’ambiguïté, et nous laisse, pauvre lecteur, perdu dans nos certitudes.
C’est troublant, et pourtant ce ne sont que des mots imprimés sur du papier.
Nabokov arrive à nous donner l’impression d’être complices et un peu coupables aussi des pulsions de son héros, et on ne peut que se demander comment il a pu décrire tout ça aussi bien (la fascination d’Humbert pour les socquettes de Lo, ça sent pas le vécu ça peut-être?).
Du coup on ne sait plus qui du personnage ou de son créateur est le plus dérangé, mais une chose est sûre, ce type savait écrire, et ça c’est quand même pas rien.
J’avais déjà qualifié le film de kubrick de chef d’œuvre, je le maintiens pour le roman, un chef d’œuvre qui ne nous laisse pas indifférent, capable de nous faire ressentir le désir et le dégoût en même temps, de nous perdre au point de ne plus savoir qui est le plus à plaindre des personnages ou du lecteur qu’on malmène ainsi.