L'innocence du point de vue
Si la lecture en VO, rendue difficile par la qualité de langue d'Harper Lee qui met à mal les qualités d'un lecteur français moyen, réserve tout de même de jolies surprises dans le style délié et riant de cette auteure qui a tout de l'un des grands maîtres du roman américain au XXè siècle, c'est le point de vue, qui a mon sens fait de ce livre un véritable chef d'oeuvre.
Vivre l'épreuve terrible de la ségrégation raciale, de la violence active et passive de la communauté blanche sur les populations noires, soumises, parquées, déshumanisées, au travers de l'innocence et du jeu, derrière le point de vue enfantin de Scout, personnage époustouflant d'humanité, c'est là que réside la matière essentielle de ce texte.
On virevolte sans cesse à la lecture de To kill a mockingbird (qu'on arrête les traductions hasardeuses, par pitié...), on vit les aventures épiques d'un joyeux trio de gamins intrépides qui explorent le voisinage en quête de réponses à leurs interrogations légitimes, et tout à coup, nous voilà plongés dans l'atmosphère opressante d'une cour de Justice, dans la violence absurde de l'homme contre l'homme.
L'arrière fond historique (le roman se déroule au coeur de l'Alabama des années 1930), donne au livre une dimension dramatique intense.
On a envie de serrer bien fort dans nos bras cette petite fille tapageuse, tellement en avance sur un environnement rétrograde, raciste, et figé dans sa bassesse, de boire un café avec Atticus, profiter de son esprit, de sa volonté de pacifier une société gangrennée par l'horreur.
DE-MOCRACY écrit l'enseignante de Scout, rappelant à ses élèves qu'ils ont de la chance de vivre où ils sont, qu'ils pourraient grandir dans l'Allemagne fraîchement acquise à la cause nazie. Défendre les juifs, et justifier l'infériorité de la race noire. Exemple typique de ce que ce livre nous offre : le portrait, magnifique, d'une Amérique aux mille contradictions, théâtre des pires atrocités et berceau de l'égalité des droits : Portrait qui échappe à une noirceur extrême, qui l'aurait rendu insoutenable, par le recours au point de vue de l'innocence.
Tout est dit, sans violence dans les mots, on comprend, par l'incompréhension de Scout, on s'émeut, sans discours dramatiques, on se révolte, sans message politique explicit.
Un choc, à la hauteur de la portée internationale du roman.