Ce nouveau recueil de nouvelles s'apparente davantage à "Différentes Saisons" qu'à "Juste avant le Crépuscule", dans le sens où 3 des 4 histoires sont relativement longues. La première ("1922") fait 172 pages, la deuxième ("Grand Chauffeur") 140 pages, la troisième ("Extension Claire") 40 pages, et la dernière ("Bon Ménage") 104 pages. Il s'agit donc plutôt d'un recueil de mini-romans que d'un recueil de courtes nouvelles. Ces histoires ont toutes un point commun : comme le dit Stephen King dans la postface, il a cherché à mettre des individus ordinaires dans des situations extraordinaires, plutôt que l'inverse. L'empathie vis-à-vis de ces 4 individus lambda dont la part sombre va soudainement resurgir est donc évidente, et après avoir achevé la lecture de chacune de ces aventures, on se demande forcément comment nous aurions réagi dans les mêmes circonstances…

Intéressons donc un peu plus en détail à chacun de ces mini-romans. Dans "1922", nous faisons connaissance avec un fermier du Nebraska dénommé Wilfred James. Excédé par le comportement et les menaces de divorce de sa femme, il se met en tête de la tuer, et contre toute attente, passe à l'acte à l'aide de son fils de 15 ans. Tout de suite, on est saisi par la brutalité de la scène : Stephen King n'y va pas par quatre chemins et nous explique avec moult détails comment un mari a assassiné sa femme à coups de couteaux, avant de jeter son corps désarticulé dans le puits asséché de la propriété ! Pendant le reste de la nouvelle, l'auteur s'attachera à nous décrire les conséquences de ce geste sur la santé mentale des 2 survivants, et l'escapade amoureuse du jeune adolescent m'a personnellement évoqué le mythe de Bonnie & Clyde. J'ai par contre été bien moins convaincu par les visions du père, même si je vous avoue que ça m'a fait plaisir de voir l'écrivain du Maine se réapproprier le thème des rats, 39 ans après la mythique nouvelle intitulée "Poste de Nuit" (à lire dans le recueil "Danse Macabre").

Dans "Grand Chauffeur", notre bigleux préféré se met dans la peau d'une femme écrivain qui subit un viol après avoir donné une conférence dans un trou perdu du Massachussetts. Jouant avec les codes du cinéma d'horreur, Stephen King ne cesse de nous surprendre et évite tous les clichés auxquels on pouvait logiquement s'attendre. Les fans de Charles Bronson (période "Justicier dans la Ville") et du film "I Spit on your Grave" seront comblés par le sort réservé aux coupables. Les autres dénonceront à coup sûr une certaine apologie de la violence devant ce "rape & revenge" sans le moindre état d'âme. Notez également que l'auteur américain utilise dans ce récit un de ses vieux gimmicks éculés par les ans : les fameuses voix dans la tête, qui m'avaient tant exaspéré dans "Jessie", apportent ici une certaine dose d'humour à un récit particulièrement sombre : Tess noue ainsi le dialogue avec son GPS, son chat, ou encore un chien idiot amateur de steaks ("traîtresse !").

"Extension Claire" est à mes yeux la nouvelle la plus réjouissante et la plus plaisante à lire du lot. A plusieurs reprises, elle m'a arraché de vrais sourires, et je me suis surpris à penser intérieurement "Oh non, Steve, tu vas trop loin sur ce coup !". Je vous résume vite fait l'histoire : Dave Streeter est condamné à brève échéance par un cancer qui le ronge depuis plusieurs mois. Un soir, alors qu'il passe près d'un aéroport, il rencontre un curieux vendeur à la sauvette dénommé Dabiel (oui, il s'agit bien d'une anagramme). Contre toute attente, ce dernier lui propose une "extension" de vie, et la disparition immédiate de son cancer. Ben voyons, rien que ça ! Interloqué par cette proposition peu commune, le pauvre Dave s'amuse des délires de ce vieux fou, et poursuit la conversation pour se divertir plus qu'autre chose. Pour bénéficier de cette extension, il n'aura à remplir que 2 conditions. Il doit tout d'abord s'engager à lui verser 15% de ses revenus jusqu'à sa mort. Ca va, on a vu pire comme deal. Mais surtout, il doit lui donner le nom d'un homme qu'il déteste du plus profond de son âme, et lui expliquer pourquoi il le hait à ce point. Après une brève hésitation, et même s'il ne croit pas trop à ce que lui raconte ce marchand qui lui promet l'impossible, Dave lâche un nom : Tom Goodhugh, son "meilleur" ami. Ce dernier lui a piqué la fille de ses rêves lorsqu'il était étudiant, il a réussi sa vie professionnelle et personnelle, et comble du comble, il a une chevelure parfaite à 50 ans passés… Dave estime que c'est parfaitement injuste, et que si une personne sur Terre mérite de souffrir à sa place, c'est bien Tom ! Comme le dit l'adage, le malheur des uns fait le bonheur des autres, et pendant plusieurs dizaines de pages cyniques à souhait, Stephen King va s'amuser à pourrir la vie de ce pauvre Tom, sous nos yeux amusés, mais surtout pour le plus grand ravissement de son "ami" Dave.

Dans "Bon Ménage", le King de Bangor nous décrit la petite vie ordinaire d'un couple américain de classe moyenne. Les voyages professionnels de monsieur, le club de lecture de madame et leur passion commune pour la numismatique. Une vie bien réglée qui va voler en éclats, le jour où madame Anderson va découvrir un magazine porno caché dans le garage où elle ne met d'habitude jamais les pieds. En fouillant dans les affaires de son mari, Darcy va surtout réaliser que son époux d'ordinaire si attentionné est en fait un tueur en série qui viole des femmes, les torture et les assassine depuis plus de 30 ans. Comment va-t-elle réagir ? Faut-il le dénoncer aux autorités et voir sa vie familiale voler en éclats ("elle était forcément au courant !", diront les voisins), ou bien faut-il faire semblant de rien et espérer qu'il ne recommence plus ? Là encore, Stephen King maîtrise le suspense comme personne, et lorsque le mari rentre à l'impromptu au beau milieu de la nuit, on tremble pour la pauvre Darcy qui n'avait pourtant rien demandé…

Vous l'aurez compris, je me suis globalement régalé à la lecture de ce recueil de nouvelles cruelles et dérangeantes abordant toutes à leur manière le thème de la vengeance. Stephen King reste toujours un narrateur hors pair, et ses tics d'écriture sautent moins aux yeux dans ces histoires courtes que dans ses romans de 1000 pages. L'absence totale de morale dans ces 4 récits m'a aussi beaucoup surpris, et je pense qu'il s'agit là d'une des œuvres les plus sombres de la sa carrière. Certaines nouvelles auraient carrément mérité d'être développées sur l'intégralité d'un roman (je pense à "Bon Ménage"), et au final, seule "1922" me semble être un cran en dessous du reste. Vivement le prochain recueil !
chtimixeur
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le 6 oct. 2014

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